Un homme est mort
Kris et Etienne Davodeau
Futuropolis - 15€
A la lecture d’Un homme est mort, l’émotion transmise par le récit fut si prégnante que les larmes coulèrent, et en y réfléchissant bien, c’est la première fois qu’un récit graphique me fait cette impression là. 1950. Brest est presque entièrement détruite par les derniers combats de la seconde guerre mondiale. Ville stratégique pour les deux camps, elle fut le siège de combats acharnés deux mois durant. Tout est à reconstruire. Des milliers d’ouvriers se mettent au travail pour faire à nouveau sortir de terre une ville qu’on leur avait volée. La guerre, la Libération, la nouvelle organisation politique du Monde laissaient une grande place à l’espoir et à la vie retrouvée mais aussi au doute, à l’insécurité. Le rationnement, la pénurie, le problème de logement rendait le quotidien précaire. Du côté politique, les mouvements d’émancipation des colonies et en particulier l’Indochine rappelait que la guerre se poursuivait quelque part. Dans ce contexte incertain, les avis divergent sur le parti à prendre mais la cohésion des différents groupes syndicaux et politiques va s’opérer tout de même. Il faut ajouter que Brest, ville d’ouvriers et de dockers fortement marqués à gauche, est entourée d’une campagne fortement catholique, encore appelée « terre des prêtres ». Les communistes de la CGT (« moscoutaire »), de FO (née d’une scission avec cette dernière) et les mouvements chrétiens comme la CFTC et la JOC, vont s’unir pour créer un élan et une dynamique prêt à faire évoluer le choses sur le plan social pour les travailleurs et par conséquent pour toute la population. Le printemps 1950 sera rouge et malheureusement un homme en mourra.
Cependant, ce livre n’est pas essentiellement une histoire du mouvement social de mars-avril. Il est surtout la renaissance ou l’adaptation en bande dessinée, d’un film, également intitulé Un homme est mort et tourné par René Vautier, les jours suivants le décès d’Edouard Mazé, le 17 avril 1950. De retour en France après avoir terminé un documentaire sur le colonialisme français (Afrique 50) et recherché par la police, René Vautier est appelé par la section CGT de Brest pour « couvrir » les manifestations du printemps 1950. Fortement secoué par la mort d’Edouard Mazé, il filme la ville paralysée, les hommes et les femmes, l’enterrement de Mazé et monte le tout sans avoir pu prendre de son. Lui vient l’idée de lire pendant la projection, un poème d’Eluard, écrit en hommage à Gabriel Péri. Douze minutes de film, entièrement perdues puisqu’à force d’être projetée la pellicule se brisera après plus de 150 projections dans et hors de Brest. Douze minutes qui vont servir à montrer la vie, les conditions de travail et les attentes d’une population qui ne demandait qu’un peu plus, un petit mieux, pour vivre sans avoir trop à se soucier du lendemain. Douze minutes pour célébrer un combat, le justifier et honorer la mémoire d’un homme tombé pour rien, un petit mieux. Douze minutes rendues en soixante-quatre pages ciselées, qui auront demandées quatre années de travail et de recherches à Kris, le scénariste à la base du projet. Accompagné par Etienne Davodeau qui continue avec talent, à montrer que la bande dessinée peut traiter du réel, de sujets graves, quotidiens, proches de nous ou politiques. Son dessin est juste, efficace, humain et la colorisation nous transporte dans l’atmosphère de ces jours et ces nuits de tensions, de combats, d’espérances.
Un dossier, en fin d’ouvrage accompagne et complète le récit.
Gabriel Pailler
Commentaires
Merci de parler de cette BD, je la connais bien, on devrait tous la lire !!!!!!!!!!!!!!!!