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le livre numérique, on en est où ?

Pour une fois, un petit texte sérieux...

Une tribune parue dans Le Monde cette semaine signée Jean-Claude Bologne, Benoît Bougerol, Antoine Gallimard, Pascal Wagner...

 

index.jpgLe livre numérique est devenu une réalité. Le marché, certes encore balbutiant, tend à se structurer grâce aux investissements et aux expérimentations d'auteurs, d'éditeurs, de bibliothécaires et de libraires. Ceux-ci sont tout autant convaincus de l'avenir de leur métier traditionnel que de la nécessité de participer au développement du numérique, afin de le mettre au service de la diversité de la création et de la lecture ouverte au plus grand nombre. Parce que le numérique peut produire le meilleur comme le pire, cette ambition, pour devenir réalité, requiert également des actes politiques audacieux et rapides.

La proposition de loi inscrite au programme de travail des sénateurs en est une première et exemplaire démonstration. Elle concerne le prix unique du livre numérique. Editeurs, libraires, auteurs et bibliothécaires saluent et soutiennent l'initiative des sénateurs UMP Jacques Legendre et Catherine Dumas, partageant cette conviction qu'un marché numérique non régulé est une "pente glissante" sur laquelle on ne saurait engager sans risque la création et la diffusion des oeuvres de l'esprit.

Quel est au juste l'enjeu de cette régulation ? Et dans quel contexte s'inscrit-elle ? La proposition de loi allie simplicité et souplesse, deux qualités cardinales dans l'univers numérique. A l'image de la loi Lang de 1981 sur le livre imprimé, elle confère à l'éditeur la maîtrise du prix de vente des livres numériques et établit que le prix ainsi fixé s'impose à tous les revendeurs. Elle ferme ainsi la porte aux politiques de dumping qui ont, sinon pour intention, du moins pour effet d'exclure du marché les acteurs les plus faibles, en dépossédant les éditeurs de leur propre politique commerciale et les ayants droit de leur juste rémunération.

Mais cette proposition de loi n'est pas la copie carbone de la loi Lang. Conformément aux préconisations des rapports et avis qui l'ont précédée, elle repose sur une définition du livre numérique restreinte (imprimé ou imprimable, sauf éléments accessoires à l'oeuvre principale), excluant des produits multimédias trop hybrides et, à ce jour, trop peu développés pour être, d'ores et déjà, désignés avec certitude comme des livres.

Elle exclut de son champ les offres destinées aux usages collectifs et professionnels, dont la composition et les pratiques associées sont trop complexes pour se plier à un tel cadre. Elle conçoit par ailleurs que la tarification des offres autour d'une même oeuvre puisse être modulable, selon les fonctionnalités de lecture ou le type d'accès que l'éditeur rend possibles au consommateur final. Enfin, la proposition de loi envisage que la fixation des conditions commerciales entre éditeurs et libraires puisse dépendre de critères qualitatifs, comme c'est le cas pour le livre imprimé.

Notre conviction est que cette loi donnera un coup d'accélérateur au marché du livre numérique en France. Chacun disposera désormais des garanties nécessaires pour se lancer dans l'aventure : les auteurs, bénéficiant d'une assiette de rémunération stable et claire ; les libraires, de nouveau maîtres de leur activité promotionnelle et de leur clientèle ; les éditeurs, assurés de la préservation de la chaîne de valeur propre à l'exercice de leur métier. Et les lecteurs, bien sûr, auxquels est ainsi promis le maintien de la diversité de l'offre éditoriale et de la pluralité de sa diffusion, en librairie et en bibliothèques, tant en version imprimée que numérique. Comme en 1981, il s'agit de maintenir un écosystème éditorial à la mesure des ambitions culturelles d'une grande nation démocratique.

Mais ce dispositif ne donnera son plein "rendement" que lorsque deux autres grands dossiers relatifs au livre numérique auront trouvé leur issue. Le premier bénéficiera immédiatement au consommateur. Il s'agit du taux de TVA applicable qui, pour d'obscures raisons fiscales, est établi à 19,6 % pour les livres numériques, contre 5,5 % pour les oeuvres imprimées. Sur chaque livre numérique vendu, la part revenant à l'Etat est donc sensiblement plus élevée que sur la vente d'une même oeuvre dans sa version imprimée...

On ne voit guère de justification à cela quand il s'agit d'aider à la circulation des oeuvres de l'esprit. La situation est d'autant plus absurde que l'Etat préleveur incite dans le même temps les éditeurs à abaisser le prix de vente TTC des livres numériques pour constituer des offres légales attractives... Il faudrait donc que les acteurs économiques se rémunèrent moins sur les ventes du livre numérique tout en en donnant plus à l'Etat, qui devient ainsi le principal bénéficiaire de l'économie réalisée par la dématérialisation des livres. La situation est pour le moins paradoxale.

Le député UMP Hervé Gaymard, auquel rien du monde des livres n'est étranger, s'est saisi du dossier et, soutenu par plusieurs parlementaires, vient de déposer une proposition de loi à l'Assemblée nationale afin d'établir un taux de TVA à 5,5 % pour le livre numérique. Si, en littérature générale, le niveau moyen de la décote entre le prix de vente TTC du livre imprimé et celui du livre numérique est aujourd'hui d'environ 20 %, il pourrait passer à environ 30 % avec une TVA à 5,5 %. Nous soutenons unanimement cette initiative législative, convaincus qu'elle constituera un véritable levier de développement sur un marché émergent.

Le dernier dossier est d'ordre patrimonial. Il s'agit de constituer, dans le prolongement du site Gallica, un portail d'exposition du trésor éditorial français, incluant les oeuvres indisponibles du XXe siècle. Sa constitution permettrait de remettre au jour ce secteur non exploité du patrimoine écrit, par le biais de sa numérisation massive, de son indexation par les moteurs de recherche et de sa remise sur le marché sous forme numérique, tant à destination des bibliothèques que par le relais des libraires en ligne.

Un tel dispositif serait exemplaire : il constituerait une réponse aux agissements illégaux de la société Google qui, avec la complicité de grandes bibliothèques américaines, a scanné sans autorisation des millions de livres sous droits. Il démontrerait qu'il n'est pas utile de remettre en cause le socle de la propriété intellectuelle pour accroître les ressources numériques en ligne. Le droit d'auteur n'est pas une entrave économique ! Le prétendre engagerait à promouvoir un financement exclusif de la création et de l'édition soit par la publicité, soit par l'Etat. On peut souhaiter meilleur avenir pour la liberté de créer et de penser !

Le risque majeur réside précisément dans l'absence de protection efficace de la propriété intellectuelle, tant pour l'auteur que pour l'éditeur auquel celui-ci a confié l'exploitation de ses droits. En vertu de quel principe priverait-on les auteurs et les éditeurs des revenus de leur travail, au prétexte qu'il est devenu numérique ? Qui, sinon l'auteur, a investi en temps de recherche, de conception, d'écriture ? Qui, sinon l'éditeur, a sélectionné, fabriqué, promu, diffusé ces oeuvres ?

Ce projet sur la numérisation des oeuvres indisponibles, très ambitieux et sans précédent, fait l'objet de discussions entre les pouvoirs publics et les représentants des éditeurs et des auteurs, sous l'impulsion du ministre de la culture, Frédéric Mitterrand. L'organisation d'une gestion collective paritaire des droits pour l'exploitation de ces oeuvres est à l'étude. Reste à définir le cadre de financement de la numérisation et de l'infrastructure technique liée à sa future exploitation. Le grand emprunt avait laissé espérer que l'Etat était enfin disposé à investir dans la numérisation de ses fonds patrimoniaux. Le fera-t-il ?

Ne laissons pas cette option politique s'éloigner, à mesure que la complexité technique et les exigences économiques du dispositif affleurent. Le bon accord reste donc à trouver, dans le meilleur délai. Il devra être l'expression des préoccupations solidaires des éditeurs, des bibliothécaires, des auteurs et des libraires ; et par là, encore une fois, des lecteurs. Editer, imprimer ou numériser afin de démocratiser l'accès à la culture, c'est toujours de cela qu'il s'agit.

 Jean-Claude Bologne, Benoît Bougerol, Antoine Gallimard, Pascal Wagner


Jean-Claude Bologne, président de la Société des gens de lettres ;

Benoît Bougerol, président du Syndicat de la librairie française ;

Antoine Gallimard, président du Syndicat national de l'édition ;

Pascal Wagner, président de l'Association des bibliothécaires de France.


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