Nous sommes libraires. Notre métier est donc, par définition, de vendre des livres. Une fois cela posé, il est bon quand même de se poser quelques questions sur notre démarche. Il y a, en effet, certains livres qui demandent un temps de réflexion avant de les mettre en vente. A qui s’adresse ce livre ? Transmet-il un message ? Dans quel but ? Ce sont des questions qui reviennent assez souvent, notamment en littérature jeunesse où notre rôle de prescripteur est un peu plus «à risque» qu’ailleurs.
Jeux d’images paru dernièrement aux éditions Circonflexe fait incontestablement partie de ces ouvrages qui nécessitent une réflexion. Avant de le mettre en rayon, avant de le proposer à mes clients et de le vendre tout simplement, j’ai cru bon d’en discuter avec mes collègues pour voir quelles étaient leurs réactions. Celles-ci sont variées et montrent toute l’ambiguïté de certaines décisions.
Pour résumer, en quelques mots, le principe de ce livre, Jeux d’images est un livre à spirale avec quatre entrées possibles que l’enfant peut tourner à son gré (type de méli mélo). Chaque partie correspond à un style de représentation différente : la photo, le dessin au trait, l’illustration jeunesse, et le logo. En tournant les pages, l’enfant devra retrouver la combinaison idéale qui reprend le même sujet vu par les quatre manières différentes. Le principe est très intéressant et permet à l’enfant de visualiser et d’apprendre qu’il existe, dans l’image, plusieurs possibilités de représenter chaque chose.
Le problème survient quand on arrive aux logos. En effet, les images utilisées sont celles de grandes marques françaises et internationales. Cela pourrait encore aller si on n’utilisait que les logos mais pour la plupart d’entre elles le nom de la marque fait partie du logo lui-même. Voilà donc que s’affichent dans un livre pour la jeunesse les marques Peugeot, Sheba, Lacoste, Petit Bateau ou autres Nestlé ! Je suis désolé mais personnellement cela me choque. Le principe du livre est bon, la réalisation aussi mais je n’ai pas du tout envie de promouvoir des marques privées en littérature de jeunesse.
Mon collègue me répond que les enfants vivent dans un univers de marques et que cela peut justement aider à se repérer dans une société où les marques sont partout. Il vaut mieux connaître et expliquer plutôt que se voiler la face selon lui. J’entends ses arguments et je les comprends mais au fond de moi, je ne peux me résoudre à promouvoir ce type d’ouvrages. Pourquoi avoir choisi de grandes marques internationales. Il y a bien assez de logos pour ne pas choisir des entreprises qui n’ont absolument rien à faire dans un livre pour la jeunesse. Et le risque est trop grand à l’heure où les grands groupes pénètrent peu à peu toutes les institutions. Préservons encore un peu la naïveté des enfants. Laissons-les tranquilles avec le grand capitalisme. Ils auront bien assez vite le temps de se pencher sur la société de consommation dans laquelle nous vivons…
Simon Roguet