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i am a lungfish song

  • interview de Tristan Savin, rédacteur en chef de la revue LONG COURS (par Christophe Aimé - créateur du blog I AM A LUNGFISH SONG)

    TRISTAN SAVIN - LONG COURS

    Ecrivain, journaliste, reporter, chroniqueur littéraire… TRISTAN SAVIN est, depuis 2012, le rédacteur en chef d’une revue unique et exceptionnelle qu’on adore ici, LONG COURS. Reportages tout-terrain, textes d’hier et d’aujourd’hui, enquêtes sans frontières, récits de voyages originaux, nouvelles inédites d’auteurs français et étrangers, portfolios de l’ailleurs, extraits de romans graphiques à paraître, tous les trimestres, LONG COURS  http://revue-longcours.fr/blog/ est un passeport de deux cents pages qui ouvre une quantité infinie de portes pour mieux raconter, regarder et comprendre nos sociétés. Tout l’esprit du voyage, du temps et des mots sous la plume de témoins inspirés pour ces fenêtres ouvertes sur la réflexion et l’imagination. A deux mois de sortir le numéro 7, TRISTAN SAVIN a pris le temps de nous faire encore mieux connaître cette revue dont il avait toujours rêvée. (Photos: F.Courtès) (chRisA - jan2014)

    Au sens propre comme figuré, quel type d’aventurier êtes-vous ?

    Tristan Savin : Je ne me considère pas comme un aventurier, au sens strict du terme.  J’ai cependant beaucoup voyagé, donc connu de belles aventures, mais pour moi un voyage s’organise. Il faut anticiper pour éviter les aventures désagréables. La vie est en soi aventureuse. Et LONG COURS est une belle aventure.

    Dans l’idée du ‘portrait chinois’, s’il y avait un pays qui vous définirait le mieux, lequel serait-il ? Probablement l’Indonésie, un pays méconnu, mystérieux, très varié, qui réserve des surprises. On y mange très bien, les gens sont souriants et accueillants. Je ne dis pas que je suis comme ça mais cela me ressemble. Je m’y sens chez moi.

    De quel écrivain seriez-vous le ‘fils’ ou le ‘cousin spirituel’ ?

    Je me sens très proche de Jules Verne : ouvert sur le monde, curieux de tout, encyclopédiste. Et j’ai une affection particulière pour Boris Vian, un touche à tout, passionné par les mots, la musique, mais je n’ai pas son talent.

    Retour en arrière, quand et comment est né le projet LONG COURS ? Comment vous êtes-vous retrouvé rédacteur en chef de cette revue ? LONG COURS est né, il y a plus de trois ans, de la volonté du groupe L’Express de créer une revue offrant de la place, et du temps, pour expliquer le monde actuel. On m’a proposé de m’en occuper car je travaillais déjà pour le groupe (en tant que chroniqueur littéraire au magazine Lire et responsable des hors-série), que j’étais reporter (entre autres à Géo) et que j’avais un carnet d’adresses d’écrivains…

    Dans quelle veine journalistique et littéraire la situez-vous ?

    L’influence journalistique, du moins la mienne, est celle de Rolling Stone, de Granta, du New Yorker, mais aussi de feu Actuel. Des magazines qui misent sur le reportage, l’investigation et la qualité d’écriture.

    Quels étaient les objectifs initiaux de la revue ? Ont-ils changé depuis sa création ?

    L’objectif initial était de raconter le monde actuel avec des reportages, des nouvelles et des récits, mais aussi des photos et des illustrations. Il n’a pas changé pour l’instant.

    En quoi pensez-vous que LONG COURS marque un nouveau territoire dans le monde du reportage ?

    Nous renouons avec une vieille tradition de la presse, un peu oubliée, de proposer des reportages à des écrivains. Nous n’avons rien inventé : France Soir le faisait à sa grande époque en envoyant Saint-Exupéry, Kessel ou Cendrars sur le terrain. Nous faisons appel à la crème de la littérature « voyageuse » contemporaine : Sylvain Tesson, Jean-Christophe Rufin, Olivier Weber, Hubert Prolongeau. Et toute une nouvelle génération d’auteurs talentueux : Caryl Férey, Julien Blanc-Gras, David  Fauquemberg, Fabrice Humbert, Olivier Truc, Sabri Louatah, Clément Reychman… Sans oublier des photoreporters comme Gérard Rondeau, Luca Locatelli ou Massimo Berruti et des dessinateurs comme Loustal, Marcellino Truong, Christian Cailleaux et bien d’autres (désolé pour tous ceux que j’oublie).

    Quelle est la substantifique moelle d’un article figurant au sommaire de LONG COURS ? Que doit-il nécessairement contenir, dégager pour qu’il soit publié ?

    Le premier critère est l’originalité du sujet, de préférence inédit. Entrent ensuite en ligne de compte la pertinence du regard, le talent de conteur… Un bon reportage nous explique les problématiques d’un pays, et les resitue dans un contexte mondial, mais de manière fluide, sans un ton professoral.

    Dans ce monde saturé d’images, d’informations et de reportages, LONG COURS semble offrir trois concepts extrêmement rares : le temps, l’espace et la réflexion. Quels autres concepts tentez-vous passionnément d’offrir à vos lecteurs ?

    Offrir le temps, l’espace et la réflexion, c’est déjà énorme car les médias traditionnels – surtout ceux de l’audiovisuel - n’en offrent pas autant. Nous offrons peut-être en plus, grâce à nos auteurs les plus doués, un supplément d’âme, du moins je l’espère.

    LONG COURS est né sous l’aile du magazine L’Express. La revue a-t-elle une ligne politique ou, au contraire, se refuse-t-elle d’en suivre une ?

    Nous n’avons aucune ligne politique. Nous publions des journalistes travaillant aussi bien pour la presse de droite ou celle de gauche, mais, à mon sens, ces clivages sont dépassés depuis longtemps. Nous avons cependant publié quelques textes engagés qui concernaient la préservation des peuples autochtones (les articles de Caryl Férey et de Luis Sepulveda sur les indiens Mapuche) et la défense de l’environnement (notamment en Amazonie) et la lutte contre les mafias (la formidable enquête de Roberto Saviano dans notre numéro 2), des sujets internationaux toujours d’actualité.

    A l’exception de la quatrième de couverture, il n’y a aucune publicité. Chose extrêmement appréciable puisque, pour une fois, le lecteur n’a pas l’impression que les articles qu’il lit sont un ‘prétexte’ pour lui vendre quelque chose. Cette absence de publicité, était-elle un critère de base ? Comment faites-vous financièrement ?

    Ce serait bizarre, pour une revue vendue en librairie, d’être transformée en catalogue publicitaire. Notre prix de vente assez élevé doit compenser ce manque à gagner. Nous avons cependant accepté la proposition d’une grande marque (Hermès, pour ne pas la nommer), qui souhaitait être notre seul annonceur, car son univers correspondait bien au notre : une exigence de qualité, une image d’évasion… La revue coûte très cher à produire et cette forme de mécénat permet de financer plusieurs reportages par numéro sans dépendre des offices de tourisme et altérer l’objectivité des textes…

    Comment se portent les ventes de la revue ? Quels sont les retours que vous avez ?

    Les ventes dépendent de nombreux facteurs (concurrence, promotion, diffusion, actualité, conjoncture de la presse et de la librairie) et sont différentes d’un numéro à l’autre. Les deux premiers numéros se sont plutôt bien vendus, le quatrième aussi. Les résultats sont contradictoires entre l’excellent accueil des libraires, des professionnels de l’édition, des médias (globalement dithyrambiques) et les résultats réels, moins importants qu’escomptés. Il faudrait vendre deux mille exemplaires de plus pour parvenir à l’équilibre. C’est difficile dans un contexte de crise et de baisse générale des lecteurs de presse due à l’Internet. Il nous reste à faire des efforts de promotion et de distribution pour y arriver. Nous restons confiants et nous essayons de donner le meilleur de nous-mêmes.

    Comment réussissez-vous à convaincre de grands auteurs à participer (récits de voyage, nouvelles...) à LONG COURS ? Est-ce que la grosseur de votre carnet d’adresses est un avantage ? Le fait que je travaille à Lire depuis maintenant dix ans, donc que je connaisse des auteurs, la plupart devenus des amis, a effectivement aidé. La qualité de la revue, sa maquette, également. Les auteurs sont surtout enthousiastes à l’idée d’avoir de la place pour s’exprimer, et du temps, car nous leur laissons plusieurs mois pour écrire. Et je leur laisse carte blanche, je ne dénature pas leurs textes, nous travaillons en toute confiance. La plupart d’entre eux attendaient une revue de ce type depuis longtemps.

    Qui rêveriez-vous d’inviter pour les prochains numéros ?

    J’ai déjà contacté presque tous ceux que je rêve d’accueillir, très peu ont refusé, et ceux qui ont décliné ont répondu que c’était par manque de temps. Jim Harrison ne m’a répondu car il a des problèmes de santé. Et je ne désespère pas d’avoir peut-être un jour un texte inédit de Murakami, que j’apprécie énormément. 

    Dans l’histoire ‘qui de l’œuf ou de la poule…’, à votre avis, l’écriture naît-elle du voyage ou est-ce plutôt l’inverse ?

    Le voyage, dans le sens noble du terme (c’est à dire non touristique), incite à l’écriture. Surtout quand on a le temps. Il suffit d’avoir une heure ou deux devant soi, un paysage sous les yeux, de se retrouver dans un temple bouddhiste ou dans un bar de Patagonie, pour avoir envie de s’emparer d’un stylo pour noter ses impressions, d’avoir le désir irrépressible d’immortaliser un instant.

    Qui vous a appris à voyager ? Et à écrire ?

    Ceux qui m’ont appris à voyager sont nombreux (Jules Verne, Stevenson, Melville, Miller, Conrad, Loti, Cendrars, Michaux, Kerouac, Segalen, Bouvier… ). Ceux qui m’ont appris à écrire sont quasiment les mêmes. Mais celui qui m’a donné envie de voyager, le premier, indéniablement, est Hergé. J’ai appris à lire avec Tintin au Congo, Le Lotus Bleu, L’Oreille Cassée et Vol 714 pour Sydney. Je viens de les relire pour un Hors-Serie de L’Express auquel je participe et j’ai réalisé à quel point ces histoires avaient influencé le cours de mon existence, déclenché des envies de voyages et ma vocation de reporter.


    Depuis le lancement de LONG COURS, quels sont les rêves que vous avez déjà réalisés ? Qu’est-ce qui vous a le plus étonné et ému  depuis le tout début de cette aventure? Quelles sont aussi vos frustrations ? LONG COURS est la revue dont je rêvais depuis longtemps. J’ai réalisé le rêve de publier la plupart des auteurs que j’admirais, comme Mark Twain, SylvainTesson, Jean-Christophe Rufin, William Boyd, Douglas Kennedy, Philippe Djian, Gilles Lapouge, Jérôme Charyn, Paul Bowles, Pierre Pelot, Alain Dugrand, Alaa El Aswany, Luis Sepulveda, Erri de Luca ou Leonardo Padura… Découvrir leurs textes inédits, c’est cela qui m’a le plus ému. Mais aussi les réactions des lecteurs, surtout celle de ce prisonnier qui nous a écrit que LONG COURS était une véritable libération pour lui, une fenêtre d’évasion vers des ailleurs. Cela m’a rappelé l’utilité première de l’écriture, de la lecture, donc de la littérature. L’évasion.

    La formule d’une revue peut toujours être améliorée, enrichie. Parce que les lois de l’Aventure imposent le changement, l’adaptation, que voudriez-vous apporter de plus aux prochains numéros ? Avez-vous des idées de nouvelles rubriques ?

    Vous avez raison, il ne faut pas hésiter à apporter du neuf. Nous avons essayé, même si cela ne se voit pas tout de suite, d’améliorer la revue au fur et à mesure des numéros. Et nous continuerons à le faire. Nous avons quantité d’idées. Il faut toujours se remettre en question. Mais il faut conserver une certaine cohérence globale.

    Votre parcours professionnel prouve que vous êtes une personne toujours en mouvement, toujours sur le qui-vive. Que n’avez-vous pas encore fait et que vous voudriez réaliser ?  

    A titre personnel, j’ai plusieurs romans en gestation – dont un sur mon ancêtre Champollion -, mis de côté depuis que je m’occupe de LONG COURS. Je projette également un grand voyage en Amérique du Sud et à l’Île de Pâques, pour un essai assez spécial consacré aux mystères des monolithes. J’ai toujours eu de nombreux projets en chantiers. Seul le temps me manque, la vie passe trop vite quand on est  passionné.

    Pour terminer. La littérature est au centre de votre vie, pouvez-vous nous révéler votre TOP 5 des meilleurs livres de 2013 ?

    Immortelle Randonnée de Jean-Christophe Rufin, Géographie de l’Instant de Sylvain Tesson, Paradis Avant Liquidation de Julien Blanc-Gras, Le Corps Humain de Paolo Giordano, Les Nuits de Sibérie de Joseph Kessel  (une réédition d’un texte oublié) et Autorisation de Pratiquer La Course à Pied de Franck Courtès.

    Et quel est le pays qui vous a le plus inspiré l’année dernière ?

    Je me suis rendu l’été dernier en Nouvelle-Calédonie, que je ne connaissais pas. J’ai découvert un archipel passionnant, riche en traditions, une population accueillante. Le nickel, principale richesse du pays, qui révolutionne la vie dans les tribus, m’a inspiré un reportage à paraître dans le prochain numéro de LONG COURS.

    Mille mercis à Tristan Savin.

     

     

    Retrouvez tous les articles de Christophe Aimé sur son blog

    http://iamalungfishsong.edicypages.com/

  • Une excellente interview d'un non moins excellent dessinateur BD par un toujours excellent blogger de talent !

    Cette interview est tiré du blog "I am a lungfish Song" de Christophe Aimé. C'est vraiment excellent alors dépêchez-vous et allez voir ce qui s'y passe...


    THIERRY MURAT

    "Je regardais le monde défiler à grande vitesse. Ce monde que je n'avais vu qu'en mode pause à travers une fenêtre flanquée de trois barreaux." Rascal et Thierry Murat suivent la trajectoire d'Abel Mérian, un ex-tolard, en route pour un point toujours au-delà de l'horizon. Ligne droite vers un livre d'une beauté graphique et narrative boulversantes. Son dessinateur au making-of.

    (chRisA - avril2013)

    En quels termes présenteriez-vous Rascal, votre partenaire sur ce projet ?

    Rascal est avant tout auteur. Il a publié plus de 80 ouvrages, chez Pastel - L’École des Loisirs, notamment. Il a certainement écrit quelques-uns des plus beaux textes de la littérature jeunesse contemporaine. Il s’est toujours nourri d’images autant que de lectures. Rascal est belge et en Belgique la culture picturale fait partie du paysage, elle est écrite dans l’histoire du pays et dans les petites histoires de chacun… Rascal est un ami depuis une petite dizaine d’années, maintenant. Rascal écrit comme il parle et parle comme il écrit. À la première personne le plus souvent possible, avec le cœur systématiquement et toujours avec retenue et grande élégance.

    À présent, prenez un miroir et, en tant qu'artiste, présentez-vous.

    Je suis un « touche à tout ». Je l’ai toujours été. Musique, dessin, photo, écriture… Je suis venu à la bande dessinée assez tardivement. Même si c’était un rêve de gosse, j’ai pris mon temps. Je prends toujours mon temps pour quoi que ce soit, d’ailleurs. J’ai commencé par publier au début des années 2000 des livres jeunesse aux éditions du Rouergue. Mon premier album en bande dessinée adulte Elle ne pleure pas elle chante est sorti en 2004 chez Delcourt. En 2011, c’est avec Les larmes de l’assassin, chez Futuropolis, que je prends conscience que je commence à avoir un vrai public. Et face à ce miroir que vous me tendez dans votre question j’y vois un mec qui ne sait pas parler de lui. C’est vrai… Je préfère parler de mes livres (ou de ceux des autres).

    Comment est né Au Vent Mauvais?

    C’est une histoire d’amitié avec Rascal avant tout. C’est l’envie de faire un roman graphique qui nous ressemble à tous les deux. Et, cerise sur le gâteau, de le faire chez Futuropolis. On est tous les deux des anciens ados, biberonnés aux vieux Futuropolis de la fin des années 70. De mon côté, j’avais déjà mis un pied chez Futuro avec Les larmes de l’assassin et pour Rascal, faire un bouquin avec le logo Futuropolis en bas à droite de la couverture, c’était le Graal… (Rires !) Alors, naturellement on a tout de suite pensé à un road-movie. Rascal a déjà pas mal écrit sur ce registre en littérature jeunesse. C’est un vagabond dans l’âme. Amoureux de Rimbaud et des Clash. La route, c’est un truc qui l’inspire depuis toujours. De mon côté, j’avoue que c’est une esthétique qui me faisait terriblement envie depuis longtemps aussi… Donc, Rascal m’a écrit une sorte de nouvelle. Une forme courte. Un texte d’une trentaine de feuillets, à la première personne. Et puis je me suis chargé de la mise en scène, du découpage et du dessin, bien sûr.

    Qu'est-ce qui, Rascal et vous, vous différencie et vous rapproche ?

    Alors… Ce qui nous rapproche, d’abord : préférer la singularité du regard à la virtuosité ou la technique. On partage, je crois, la même lucidité sur le monde et sur les relations humaines, aussi. On ne se fait pas d’illusions… Mais on sait en rire. On est papa de nombreux enfants : 5 pour lui et 3 pour moi. Ça rapproche, mine de rien… Ce qui nous différencie, c’est notre patrimoine culturel. Je suis un gascon du sud-ouest de la France et lui est belge. Ça n’a rien à voir. On a presque dix ans d’écart aussi…  Moi, j’aime Andy Warhol et Edward Hopper, lui préfère Van Gogh et Francis Bacon… Lui, c’est les Clash ! Moi, c’est Neil Young…

    Quels sont les secrets d'une bonne collaboration ?

    L’amitié, le respect et l’écoute. Pas l’admiration… Avec l’amitié, le respect et l’écoute, on peut tout se dire. Même les choses qui fâchent, mais ça ne dure pas.

    Je vois ce dernier album comme un road-movie avec une ambiance de polar. Dans l'histoire de la bd et du cinéma, quels sont à vos yeux les road-movies les plus réussis ?
    Pierrot le fou de Godard, Easy Rider de Dennis Hopper, bien sûr ! Et puis le beau Paris Texas de Wim Wenders… Toute l’œuvre de Jim Jarmusch qui est un road-movie à elle seule. Sinon, plus récemment Papa de Maurice Barthélemy (ex-Robin des bois) avec Alain Chabat dans le rôle titre : magistralement drôle et émouvant ! En bd, je ne vois pas… À part Au vent mauvais, bien sûr… (Rires !)

    En quoi vouliez-vous vous démarquer des autres road-movies ?

    Ho, il n’y a pas eu de calcul de la sorte. Ça ne se calcule pas ce genre de chose. Enfin… Ça peut se calculer, mais on risque de faire des trucs moins sincères. Je reviens à la question précédente, une chose qui nous rapproche aussi, avec Rascal, c’est de ne pas être bardé de références culturelles. On sait, lui et moi, que c’est un frein à la créativité. On fonctionne donc à l’instinct. Ça passe ou ça casse. On fait le livre pour nous d’abord. Pour notre éditeur aussi, bien sûr… On essaye de ne pas le décevoir, vu qu’il nous fait confiance, c’est la moindre des choses. Mais on ne fait pas de concessions. Lorsque le livre est fini, le public est là ou pas. De toute façon, malgré tous les meilleurs calculs du monde, c’est toujours comme ça que ça se passe. Donc pas de volonté spéciale de se démarquer. Juste l’envie de tenter l’expérience « road-movie » à notre manière, honnêtement, et le plus sincèrement du monde…

    Comment se sont passé les repérages ? Qu'était-il important de capter ?

    Pendant toute la période de travail sur ce livre, j’avais toujours dans ma poche un appareil photo ou à défaut, mon téléphone portable, en voiture, dans le train, dans l’avion… Et je me suis constitué une collection de paysages urbains, de friches industrielles, de routes, d’autoroutes…. Je l’ai toujours fait, j’adore ça. Mais là, j’en ai profité pour étoffer ma collection (voir ci-dessous), pour le plaisir surtout, pas uniquement pour le livre en cours. J’ai même fait un voyage express en voiture jusqu’à Rimini sur la côte Adriatique italienne, le point de chute du récit. Histoire de voir. Encore et toujours le regard… Avec la force de son inévitable subjectivité… D’ailleurs l’utilisation formelle que je fais de la photo dans mon dessin est finalement assez réduite. Capter des images avec un appareil, c’est surtout exercer son œil et forcer son regard  à un instant donné, très bref,  sur quelque chose de banal pour le sublimer. C’est ça qui est intéressant avec la photo. Ce n’est pas juste aller chercher de la documentation visuelle (la simple doc, on peut la trouver sur Google)… À l’étape du dessin, c’est toute cette démarche de captation du réel qui ressurgit. Et on arrive alors à fantasmer des images que l’on n’a même pas prises en photo. C’est une drôle de machine à rêver, le cerveau. Pour répondre plus précisément à votre question, j’essaye de capter avec mon appareil des choses qui ne se voient pas sur la photo elle-même… C’est difficile à expliquer tout ça, je sais… Mais la réponse est peut-être dans la capacité du dessin (et de la littérature aussi) à suggérer plus qu’à montrer.


    croquis thierry murat

    Comment définiriez-vous le style que vous avez trouvé depuis Les larmes de l'assassin ?

    C’est difficile pour moi de définir mon travail… Ce que je peux dire, c’est que c’est une écriture graphique qui me ressemble totalement. J’ai longtemps essayé des tas de choses très différentes dans tous mes livres, depuis 10 ans. Et récemment, pour Les larmes de l’assassin,  je me suis souvenu de ce que je faisais adolescent. Des dessins à l’encre avec des grands aplats noirs, Hugo Pratt et Comès étaient mes auteurs de chevet à l’époque de mes années lycée. Mes dessins étaient maladroits, bien sûr, on n’est pas sérieux quand on a 17 ans et on se contente de peu… Mais je crois que l’adolescence, c’est le moment où l’on construit l’être humain qu’on va être « pour toujours ». C’est idiot de vouloir faire semblant d’oublier ça. Voilà. Aujourd’hui je dessine avec les mêmes intuitions (enfin retrouvées) que j’avais lorsque j’étais ado. C’est à peu près tout ce que je peux dire. Les lecteurs sont mieux placés que moi pour définir mon style (je n’aime pas ce mot).


    au vent mauvais

    Comment abordez-vous la technique du cadrage et celle du découpage ?

    C’est la narration visuelle qui décide pour moi. Je fonctionne à l’instinct. Je me raconte l’histoire à ma manière avec tout le détachement nécessaire par rapport au texte original et la taille des cases, le nombre de cases par planche, etc… s’installe presque malgré moi. Voilà pour la base de travail. Après, bien sûr, j’ai mes petites manies comme tout le monde. J’abuse de ce que j’appelle « les images refrain ». Comme dans une chanson, vous voyez ? D’ailleurs pour répondre clairement à la question je crois que c’est ça, en fait : j’aborde le découpage d’une manière musicale. Pourquoi pas… Les chansons de Bob Dylan sont de sacrées histoires à chaque fois. De longs couplets lancinants et soudain : Paf ! Le refrain qui revient, encore et toujours le même gros plan sur ce même visage ou ce même objet banal. Une autre obsession dans ma manière de découper la narration, c’est la globalité de la double page. Je suis incapable d’appréhender une page seule, sans prêter attention à sa sœur d’en face. C’est maladif…

    Qu'essayez-vous de privilégier dans chaque case ?

    La lisibilité ! Pour que l’image soit frontale à chaque fois. Un uppercut. Vlan ! Pas de fioritures… Ça ne sert à rien. On le sait, pourtant y’en a encore qui continuent à faire de la bd comme on faisait de la peinture au 18ème siècle. Ça m’énerve… On n’arrive pas lire, à rentrer dans l’histoire tellement y’a de détails qui polluent le regard. Même plus la place pour le lecteur de se faire sa place… C’est un comble ! De toute façon, c’est comme dans la vraie vie. Y’a les bavards, ceux qui s’écoutent parler, qui prennent toute la place. Et puis, y’a les autres, souvent plus touchants et plus profonds dans leur discrétion... Ce n’est pas une théorie absolue. C’est ce que je pense. C’est tout.

    Sans suivre la plume de Rascal, rien qu'en regardant vos dessins, nous pourrions comprendre l'histoire. Comment travaillez-vous graphiquement la charge narrative ?

    Encore une fois, pas de calcul… J’essaye tout simplement de décrire au mieux ce qui se passe et où l’on est. Ou bien je fais complètement l’inverse ! Si le texte est très descriptif, alors je pars ailleurs, je montre du ciel ou une tasse à café sur un comptoir… Et bizarrement, lorsque je deviens plus métaphorique, je me rends compte que la narration y gagne. C’est assez mystérieux le rapport texte-image… Ce n’est pas une science exacte et je n’ai pas d’explications, pas de recettes non plus. Mais j’essaye de provoquer de l’inattendu, du décalage, le plus souvent possible, parce que je me rends bien compte que ça marche. On me l’a dit… Je ne suis pas un dessinateur d’action, ça se saurait (Rires !). Alors je cultive mes faiblesses comme disait Cocteau.

    Qu'est-ce que la signalétique, très présente, apporte ici ? Quelle est sa rhétorique ?

    Dans l’environnement de ce récit, les marques, les enseignes, la typographie, la signalétique apportent ce supplément d’âme ou de « non-âme », qui caractérise bien notre époque et son décor quotidien. La signalétique, c’est un peu la carte ADN de nos paysages urbains ou ruraux. Ça peut avoir quelque chose de terriblement déprimant (lorsque je montre une zone commerciale surchargée de marques) ou de très touchant (lorsque je montre une enseigne un peu usée, de vieille superette ou de vieux bistrot). Je crois que toute cette signalétique fait parler les décors et leur offre un vrai statut de personnage et donc un vrai rôle à jouer.

    Quelles couleurs vouliez-vous privilégier ? Quelles sont celles que vous vous êtes interdites ?

    J’adopte depuis pas mal de temps, dans mes images, une palette de couleurs sourdes. Ça me permet de faire éclore des petits éclats de couleurs qui d’un point de vue narratif, m’aident à accompagner le lecteur dans ses émotions. Dans ce livre, on est dans une gamme un peu « blafarde » et, de temps en temps, on aperçoit un feu rouge à l’arrière d’une voiture, le smiley jaune sur la casquette de l’ado… Je ne sais absolument pas pourquoi je m’interdis le vert. Il faut croire que je n’aime pas cette couleur… Mais je m’en passe très bien !

    Qu'est-ce qui vous a donné le plus de fil à retordre sur ce projet ?

    L’exigence de Rascal ! (Rires). Non, mais c’est aussi ce qui m’a apporté le plus de satisfaction au final… Rascal dessine aussi, dans ses albums jeunesse… Il sait de quoi il parle (et moi aussi…). Donc, nous avions des vrais débats sur l’image. C’était passionnant.

    Les histoires sombres, tristes sont-elles plus faciles à dessiner ? Vous inspirent-elles plus ? Si oui, pourquoi ?

    Plus facile, je ne le crois pas… Ce n’est pas facile, d’obliger les gens à regarder leurs propres peines en face… C’est risqué. En revanche faire rigoler, c’est plus rassurant. « Hé ! Venez chez moi, on va rigoler un bon coup ! » Tout le monde rapplique, c’est sûr… Mais si vous dites : « Passe à la maison, un de ces quatre, pour qu’on discute un peu de ce qui nous chagrine en ce moment… » Alors là, vous prenez le risque de passer la soirée tout seul (Rires !). Non, non ce n’est pas de la facilité dont il s’agit. C’est juste que pour moi, si le ciel est bleu et que tout le monde est heureux, bin… Y’a plus rien à raconter. Non ? Tout va bien. Circulez y’a rien à voir !

    Si vous étiez un lieu ou un personnage de Au Vent Mauvais, lequel seriez-vous ? Et aussi, lequel ne seriez-vous surtout pas ?

    Je serais sans hésiter, un lieu : La plage de Rimini, désolée, hors saison. La côte Adriatique italienne à un pouvoir de séduction assez paradoxal… Je ne voudrais surtout pas être la caissière de la superette de village…

    Combien de temps un projet comme cet album prend-t-il ?

    Un an ! C’est long et c’est court en fait… C’est un peu comme un morceau de vie.

    Quelques mots sur le nouveau roman graphique que vous préparez. J'ai appris que vous adaptiez Le Vieil Homme et La Mer d'Ernest Hemingway. Quelle « pression » ressentez-vous face à un tel défi ?

    Pour l’instant, je me prépare. Je suis dans les starting-blocks. Donc, grosse pression ! Le contrat est signé avec Futuropolis. Les ayant droits de la famille Hemingway ont donné leur accord. Tout est calé. Y’a plus qu’à… C’est donc un moment très particulier. Rempli de doutes, de questions. Mais je sais par expérience que tout ça va s’effacer immédiatement lorsque je serais la tête dans le guidon. Heureusement, sinon ce serait invivable. Mais cette période préliminaire, assez peu confortable, est nécessaire. C’est ainsi. Ça va être une belle aventure. En solo cette fois. Puisque mes échanges avec le vieil Ernest Hemingway seront davantage de l’ordre du spiritisme. Je pense qu’il va venir souvent m’emmerder dans mes rêves. Bon… On verra bien comment se passe la rencontre. On boira des mojitos sur la plage de La Havane… C’est un rêve de gosse, cette adaptation. J’attendais d’avoir suffisamment de cartouches dans ma besace pour attaquer un tel défit. Ce sera mon 5ème roman graphique. C’est bien, c’est le bon moment, je crois. Un beau récit sur « la victoire dans la défaite » ou inversement… Rien que de l’eau avec beaucoup de ciel au-dessus, sur 120 pages !

    Je ne terminerai pas avec une question mais avec mes sincères remerciements pour avoir passé un tel grand moment avec la lecture de Au Vent Mauvais. Merci à vous et à Rascal !

    Merci à vous pour ces questions qui sortent des sentiers battus… C’était un plaisir !


     

    Un grand merci à Thierry Murat et à Simon.