Ecrivain, journaliste, reporter, chroniqueur littéraire… TRISTAN SAVIN est, depuis 2012, le rédacteur en chef d’une revue unique et exceptionnelle qu’on adore ici, LONG COURS. Reportages tout-terrain, textes d’hier et d’aujourd’hui, enquêtes sans frontières, récits de voyages originaux, nouvelles inédites d’auteurs français et étrangers, portfolios de l’ailleurs, extraits de romans graphiques à paraître, tous les trimestres, LONG COURS http://revue-longcours.fr/blog/ est un passeport de deux cents pages qui ouvre une quantité infinie de portes pour mieux raconter, regarder et comprendre nos sociétés. Tout l’esprit du voyage, du temps et des mots sous la plume de témoins inspirés pour ces fenêtres ouvertes sur la réflexion et l’imagination. A deux mois de sortir le numéro 7, TRISTAN SAVIN a pris le temps de nous faire encore mieux connaître cette revue dont il avait toujours rêvée. (Photos: F.Courtès) (chRisA - jan2014)
Au sens propre comme figuré, quel type d’aventurier êtes-vous ?
Tristan Savin : Je ne me considère pas comme un aventurier, au sens strict du terme. J’ai cependant beaucoup voyagé, donc connu de belles aventures, mais pour moi un voyage s’organise. Il faut anticiper pour éviter les aventures désagréables. La vie est en soi aventureuse. Et LONG COURS est une belle aventure.
Dans l’idée du ‘portrait chinois’, s’il y avait un pays qui vous définirait le mieux, lequel serait-il ? Probablement l’Indonésie, un pays méconnu, mystérieux, très varié, qui réserve des surprises. On y mange très bien, les gens sont souriants et accueillants. Je ne dis pas que je suis comme ça mais cela me ressemble. Je m’y sens chez moi.
De quel écrivain seriez-vous le ‘fils’ ou le ‘cousin spirituel’ ?
Je me sens très proche de Jules Verne : ouvert sur le monde, curieux de tout, encyclopédiste. Et j’ai une affection particulière pour Boris Vian, un touche à tout, passionné par les mots, la musique, mais je n’ai pas son talent.
Retour en arrière, quand et comment est né le projet LONG COURS ? Comment vous êtes-vous retrouvé rédacteur en chef de cette revue ? LONG COURS est né, il y a plus de trois ans, de la volonté du groupe L’Express de créer une revue offrant de la place, et du temps, pour expliquer le monde actuel. On m’a proposé de m’en occuper car je travaillais déjà pour le groupe (en tant que chroniqueur littéraire au magazine Lire et responsable des hors-série), que j’étais reporter (entre autres à Géo) et que j’avais un carnet d’adresses d’écrivains…
Dans quelle veine journalistique et littéraire la situez-vous ?
L’influence journalistique, du moins la mienne, est celle de Rolling Stone, de Granta, du New Yorker, mais aussi de feu Actuel. Des magazines qui misent sur le reportage, l’investigation et la qualité d’écriture.
Quels étaient les objectifs initiaux de la revue ? Ont-ils changé depuis sa création ?
L’objectif initial était de raconter le monde actuel avec des reportages, des nouvelles et des récits, mais aussi des photos et des illustrations. Il n’a pas changé pour l’instant.
En quoi pensez-vous que LONG COURS marque un nouveau territoire dans le monde du reportage ?
Nous renouons avec une vieille tradition de la presse, un peu oubliée, de proposer des reportages à des écrivains. Nous n’avons rien inventé : France Soir le faisait à sa grande époque en envoyant Saint-Exupéry, Kessel ou Cendrars sur le terrain. Nous faisons appel à la crème de la littérature « voyageuse » contemporaine : Sylvain Tesson, Jean-Christophe Rufin, Olivier Weber, Hubert Prolongeau. Et toute une nouvelle génération d’auteurs talentueux : Caryl Férey, Julien Blanc-Gras, David Fauquemberg, Fabrice Humbert, Olivier Truc, Sabri Louatah, Clément Reychman… Sans oublier des photoreporters comme Gérard Rondeau, Luca Locatelli ou Massimo Berruti et des dessinateurs comme Loustal, Marcellino Truong, Christian Cailleaux et bien d’autres (désolé pour tous ceux que j’oublie).
Quelle est la substantifique moelle d’un article figurant au sommaire de LONG COURS ? Que doit-il nécessairement contenir, dégager pour qu’il soit publié ?
Le premier critère est l’originalité du sujet, de préférence inédit. Entrent ensuite en ligne de compte la pertinence du regard, le talent de conteur… Un bon reportage nous explique les problématiques d’un pays, et les resitue dans un contexte mondial, mais de manière fluide, sans un ton professoral.
Dans ce monde saturé d’images, d’informations et de reportages, LONG COURS semble offrir trois concepts extrêmement rares : le temps, l’espace et la réflexion. Quels autres concepts tentez-vous passionnément d’offrir à vos lecteurs ?
Offrir le temps, l’espace et la réflexion, c’est déjà énorme car les médias traditionnels – surtout ceux de l’audiovisuel - n’en offrent pas autant. Nous offrons peut-être en plus, grâce à nos auteurs les plus doués, un supplément d’âme, du moins je l’espère.
LONG COURS est né sous l’aile du magazine L’Express. La revue a-t-elle une ligne politique ou, au contraire, se refuse-t-elle d’en suivre une ?
Nous n’avons aucune ligne politique. Nous publions des journalistes travaillant aussi bien pour la presse de droite ou celle de gauche, mais, à mon sens, ces clivages sont dépassés depuis longtemps. Nous avons cependant publié quelques textes engagés qui concernaient la préservation des peuples autochtones (les articles de Caryl Férey et de Luis Sepulveda sur les indiens Mapuche) et la défense de l’environnement (notamment en Amazonie) et la lutte contre les mafias (la formidable enquête de Roberto Saviano dans notre numéro 2), des sujets internationaux toujours d’actualité.
A l’exception de la quatrième de couverture, il n’y a aucune publicité. Chose extrêmement appréciable puisque, pour une fois, le lecteur n’a pas l’impression que les articles qu’il lit sont un ‘prétexte’ pour lui vendre quelque chose. Cette absence de publicité, était-elle un critère de base ? Comment faites-vous financièrement ?
Ce serait bizarre, pour une revue vendue en librairie, d’être transformée en catalogue publicitaire. Notre prix de vente assez élevé doit compenser ce manque à gagner. Nous avons cependant accepté la proposition d’une grande marque (Hermès, pour ne pas la nommer), qui souhaitait être notre seul annonceur, car son univers correspondait bien au notre : une exigence de qualité, une image d’évasion… La revue coûte très cher à produire et cette forme de mécénat permet de financer plusieurs reportages par numéro sans dépendre des offices de tourisme et altérer l’objectivité des textes…
Comment se portent les ventes de la revue ? Quels sont les retours que vous avez ?
Les ventes dépendent de nombreux facteurs (concurrence, promotion, diffusion, actualité, conjoncture de la presse et de la librairie) et sont différentes d’un numéro à l’autre. Les deux premiers numéros se sont plutôt bien vendus, le quatrième aussi. Les résultats sont contradictoires entre l’excellent accueil des libraires, des professionnels de l’édition, des médias (globalement dithyrambiques) et les résultats réels, moins importants qu’escomptés. Il faudrait vendre deux mille exemplaires de plus pour parvenir à l’équilibre. C’est difficile dans un contexte de crise et de baisse générale des lecteurs de presse due à l’Internet. Il nous reste à faire des efforts de promotion et de distribution pour y arriver. Nous restons confiants et nous essayons de donner le meilleur de nous-mêmes.
Comment réussissez-vous à convaincre de grands auteurs à participer (récits de voyage, nouvelles...) à LONG COURS ? Est-ce que la grosseur de votre carnet d’adresses est un avantage ? Le fait que je travaille à Lire depuis maintenant dix ans, donc que je connaisse des auteurs, la plupart devenus des amis, a effectivement aidé. La qualité de la revue, sa maquette, également. Les auteurs sont surtout enthousiastes à l’idée d’avoir de la place pour s’exprimer, et du temps, car nous leur laissons plusieurs mois pour écrire. Et je leur laisse carte blanche, je ne dénature pas leurs textes, nous travaillons en toute confiance. La plupart d’entre eux attendaient une revue de ce type depuis longtemps.
Qui rêveriez-vous d’inviter pour les prochains numéros ?
J’ai déjà contacté presque tous ceux que je rêve d’accueillir, très peu ont refusé, et ceux qui ont décliné ont répondu que c’était par manque de temps. Jim Harrison ne m’a répondu car il a des problèmes de santé. Et je ne désespère pas d’avoir peut-être un jour un texte inédit de Murakami, que j’apprécie énormément.
Dans l’histoire ‘qui de l’œuf ou de la poule…’, à votre avis, l’écriture naît-elle du voyage ou est-ce plutôt l’inverse ?
Le voyage, dans le sens noble du terme (c’est à dire non touristique), incite à l’écriture. Surtout quand on a le temps. Il suffit d’avoir une heure ou deux devant soi, un paysage sous les yeux, de se retrouver dans un temple bouddhiste ou dans un bar de Patagonie, pour avoir envie de s’emparer d’un stylo pour noter ses impressions, d’avoir le désir irrépressible d’immortaliser un instant.
Qui vous a appris à voyager ? Et à écrire ?
Ceux qui m’ont appris à voyager sont nombreux (Jules Verne, Stevenson, Melville, Miller, Conrad, Loti, Cendrars, Michaux, Kerouac, Segalen, Bouvier… ). Ceux qui m’ont appris à écrire sont quasiment les mêmes. Mais celui qui m’a donné envie de voyager, le premier, indéniablement, est Hergé. J’ai appris à lire avec Tintin au Congo, Le Lotus Bleu, L’Oreille Cassée et Vol 714 pour Sydney. Je viens de les relire pour un Hors-Serie de L’Express auquel je participe et j’ai réalisé à quel point ces histoires avaient influencé le cours de mon existence, déclenché des envies de voyages et ma vocation de reporter.
Depuis le lancement de LONG COURS, quels sont les rêves que vous avez déjà réalisés ? Qu’est-ce qui vous a le plus étonné et ému depuis le tout début de cette aventure? Quelles sont aussi vos frustrations ? LONG COURS est la revue dont je rêvais depuis longtemps. J’ai réalisé le rêve de publier la plupart des auteurs que j’admirais, comme Mark Twain, SylvainTesson, Jean-Christophe Rufin, William Boyd, Douglas Kennedy, Philippe Djian, Gilles Lapouge, Jérôme Charyn, Paul Bowles, Pierre Pelot, Alain Dugrand, Alaa El Aswany, Luis Sepulveda, Erri de Luca ou Leonardo Padura… Découvrir leurs textes inédits, c’est cela qui m’a le plus ému. Mais aussi les réactions des lecteurs, surtout celle de ce prisonnier qui nous a écrit que LONG COURS était une véritable libération pour lui, une fenêtre d’évasion vers des ailleurs. Cela m’a rappelé l’utilité première de l’écriture, de la lecture, donc de la littérature. L’évasion.
La formule d’une revue peut toujours être améliorée, enrichie. Parce que les lois de l’Aventure imposent le changement, l’adaptation, que voudriez-vous apporter de plus aux prochains numéros ? Avez-vous des idées de nouvelles rubriques ?
Vous avez raison, il ne faut pas hésiter à apporter du neuf. Nous avons essayé, même si cela ne se voit pas tout de suite, d’améliorer la revue au fur et à mesure des numéros. Et nous continuerons à le faire. Nous avons quantité d’idées. Il faut toujours se remettre en question. Mais il faut conserver une certaine cohérence globale.
Votre parcours professionnel prouve que vous êtes une personne toujours en mouvement, toujours sur le qui-vive. Que n’avez-vous pas encore fait et que vous voudriez réaliser ?
A titre personnel, j’ai plusieurs romans en gestation – dont un sur mon ancêtre Champollion -, mis de côté depuis que je m’occupe de LONG COURS. Je projette également un grand voyage en Amérique du Sud et à l’Île de Pâques, pour un essai assez spécial consacré aux mystères des monolithes. J’ai toujours eu de nombreux projets en chantiers. Seul le temps me manque, la vie passe trop vite quand on est passionné.
Pour terminer. La littérature est au centre de votre vie, pouvez-vous nous révéler votre TOP 5 des meilleurs livres de 2013 ?
Immortelle Randonnée de Jean-Christophe Rufin, Géographie de l’Instant de Sylvain Tesson, Paradis Avant Liquidation de Julien Blanc-Gras, Le Corps Humain de Paolo Giordano, Les Nuits de Sibérie de Joseph Kessel (une réédition d’un texte oublié) et Autorisation de Pratiquer La Course à Pied de Franck Courtès.
Et quel est le pays qui vous a le plus inspiré l’année dernière ?
Je me suis rendu l’été dernier en Nouvelle-Calédonie, que je ne connaissais pas. J’ai découvert un archipel passionnant, riche en traditions, une population accueillante. Le nickel, principale richesse du pays, qui révolutionne la vie dans les tribus, m’a inspiré un reportage à paraître dans le prochain numéro de LONG COURS.
Mille mercis à Tristan Savin.
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