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entretien

  • entretien avec Corinne Dreyfuss

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    "Caché !" est un OVNI comme on les adore. Livre sans image, il correspond pourtant tout à fait aux plus jeunes lecteurs grâce à l'ingéniosité de son auteure. Le texte, tout d'abord, est parfaitement adapté aux plus jeunes. Le rythme est bien présent, il est très agréable à lire à voix haute et un véritable suspense s'installe au fur et à mesure de sa lecture. Mais visuellement, ce livre étonnant a également de biens jolis arguments. Si, en effet, il n'y a pas d'images, il y a en revanche une mise en page et un jeu typographique totalement maîtrisé qui est lui aussi porteur de sens. Et les enfants ne s'y trompent pas. Ils comprennent tout à fait la portée de cette mise en page et sont tenus en haleine jusqu'à la fin de la lecture. Corinne Dreyfuss, qui nous avait déjà enchantée avec le magnifique Pomme pomme pomme, Prix Sorcières 2016, confirme son talent pour nous faire faire un petit pas de côté et nous proposer des albums pour les plus jeunes différents et novateurs. Les éditions Thierry Magnier quant à elle, apportent à leur catalogue le petit frère idéal du désormais classique Tout un monde de Katy Couprie et Antonin Louchard.

     

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    Pour la revue Citrouille, nous avons rencontré son auteure Corinne Dreyfuss pour lui poser quelques questions

     

     

    Bonjour Corinne

    Pouvez-vous nous parler un peu de l'origine de ce projet un peu fou, de vos envies ? J'ai lu que ce projet remontait à plus de 15 ans ?

     

    Je me souviens très clairement du jour où j’ai eu cette idée, mon fils avait quelques mois (il a aujourd’hui15 ans et demi). Assis entre des coussins, il tenait dans ses mains un livre cartonné, il le manipulait, et puis il s’est arrêté sur une page, il est resté longtemps concentré, fasciné, je me suis alors approchée tout doucement pour voir quel dessin pouvait à ce point l’intriguer. A ma grande surprise, c’était le texte qui l’absorbait tant, il le scrutait avec une telle attention, c’était incroyable. Je me suis tout de suite dit : il faut faire un livre pour des tout-petits avec seulement du texte, j’ai tout de suite pensé que ça avait du sens. Mais je crois que je n’étais pas prête, j’ai continué à observer les tout-petits « lire le journal », regarder les mots…

    J’en ai parlé à Thierry Magnier 7 ans plus tard, il était enthousiaste, mais ce n’était encore qu’une idée, il me manquait l’essentiel : le texte. J’ai écrit des dizaines d’histoires très différentes pour ce projet, mais rien ne me convenait. Je voulais que ce soit très simple, accessible, que ça parle aux plus petits mais qu’il y ait du sens, du fond. Je cherchais LE texte qui justifiait d’être édité sans images. J’ai abandonné des dizaines de fois avant de reprendre. J’ai toujours gardé cette idée dans un coin de ma tête pendant ces 15 années.

    C’est au cours d’une résidence en crèche alors que j’étais là pour un tout autre projet que j’ai trouvé la/ma solution. D’abord les lectures avec les tout-petits m’ont confortée dans l’idée que c’est bien par le texte qu’ils rentrent dans le livre. Combien de fois j’ai lu dans un coin avec un ou deux enfants avant que d’autres qui jouaient plus loin, attirés par la lecture, par la musicalité des mots ou leur sens, rappliquent à quatre pattes ou en trottant, curieux, capturés dans les filets de l’histoire.

    Mais une autre expérience m’a beaucoup questionnée : en lisant des albums j’ai constaté qu’à chaque fois que le texte mentionnait un personnage qui n’était pas représenté sur la double page, les enfants étaient très intrigués, inquiets même. A chaque fois, les plus grands (ceux qui parlaient) demandaient : « Mais il est où ? Pourquoi il n’est pas là ?... » Cette observation m’a fait vaciller, moi qui voulais faire un livre sans images, un livre ou l’on ne représentait pas.

    Et puis cela m’a donné la solution : Caché !

    Le reste en a découlé : le jeu du coucou/caché si important et jubilatoire pour les petits, l’absence qu’il faut apprendre à apprivoiser (un enjeu pour les tout-petits et pour les grands que nous sommes) et la conviction que ce que l’on cherche dans un roman, c’est se découvrir soi-même en se glissant dans les mots d’un autre, dans la vie d’un autre, dans la peau d’un autre, dans les aventures d’un autre, dans les peurs d’un autre.

    Se chercher, se trouver, se connaître, c’est l’histoire de toute une vie, non ?

    Là est arrivée l’envie du miroir en dernière page. J’aimais beaucoup l’idée que la seule « image » de ce livre soit le reflet du lecteur, qu’il s’y trouve, qu’il puisse être au dedans et au dehors de l’histoire, tour à tour ou en même temps celui qui cherche et celui qui se cache.

    « Caché ! » c’est une histoire à trois entre un texte, celui qui lit et le tout-petit, chacun peut s’y cacher ou s’y (re)trouver.

     

    Comment avez-vous construit votre histoire ? Cela a dû être extrêmement compliqué pour que le rythme soit bon et que le lecteur soit toujours accroché ?

     

    Dans une histoire pour les tout-petits, je crois que le rythme c’est extrêmement important. Le rythme c’est la vie !

    Quand j’écris, je travaille les paroles et la musique. Les paroles ce sont les mots, l’histoire, le fond. La musique, c’est les sonorités, la musicalité, le rythme, les accélérations, les pauses, les blancs, les noirs, les refrains qui reviennent. Je pense que le rythme est aussi important que l’histoire.

    Après c’est un travail d’assemblage, je sais ce que je veux construire. J’empile les mots comme des briques, parfois ça s’écroule alors je recommence encore et encore jusqu’à ce que ça tienne même si c’est fragile, c’est bien aussi quand c’est fragile. Je travaille beaucoup à l’oral, à voix haute pour avoir les mots en bouche, je répète encore et encore. Je n’ai pas du tout l’impression que c’est un travail intellectuel, conceptuel ; les mots c’est de la matière que je façonne, j’ai besoin de faire, d’avoir les mains dans le cambouis, ou dans la farine, c’est comme vous voulez.

     

    Ensuite il fallait la mettre en forme ? Comment s'est déroulée cette étape ?

     

    Dans des précédents essais pour ce projet, j’avais tenté de travailler typo et mise en page mais je me suis vite rendue compte que ce n’était pas mon métier, alors pour cette version je me suis juste concentrée sur l’écriture du texte. C’est Camille Gautier, l’éditrice de ce projet, qui m’a proposé de travailler avec Aurélien Farina qui avait déjà collaboré au très beau « Contes au carré ». La typo à l’aérographe, la mise en page, la couverture, le design graphique, c’est Aurélien. Il a fait un travail incroyable. Il y avait beaucoup de défis à relever : intégrer et se jouer des codes liés au roman (pagination, tête de chapitres, préface, bandeau…), mettre en page et en espace les mots d’une façon qui soit attractive pour un tout-petit en ayant du sens. Le projet, ce n’était pas de faire de l’image avec les mots mais de rythmer les pages, de servir l’histoire, et puis il y avait ce jeu avec la page qui devient porte pour passer de chapitre en chapitre, j’y tenais mais cela n’a pas été si facile à mettre en œuvre. On a échangé à trois : à partir des propositions d’Aurélien, Camille et moi. C’était intéressant parce qu’on avait tous les trois une vision cohérente du projet chacun dans son domaine (designer graphique, éditrice, auteure), on n’était pas toujours d’accord mais les discussions faisaient toujours surgir une solution.

     

    Pourquoi intituler ce livre « roman pour bébé » ?

    Quand j’ai évoqué ce projet avec Thierry Magnier, je lui ai parlé d’un livre sans images, c’est lui qui m’a proposé : « Il faut faire un roman ! » D’ailleurs, je pense que cette idée m’a d’abord compliqué la tâche, d’une certaine façon cela m’a mis la pression, m’a fait m’égarer sur des pistes un peu pompeuses avant de revenir à l’essentiel. Mais cela m’a aussi fait travailler autour du concept du roman, relire, chercher, errer … ce qui a bien sûr nourri mon projet. Cela a en tout cas posé des bases solides pour la conception graphique du projet.

    C’est incroyable que personne n’ait fait un livre sans images pour les tout-petits avant, je pense vraiment que c’est une piste qui reste à explorer, j’ai d’autres idées… Rdv avant 15 ans, peut-être !

    J’espère cependant que le bandeau « Le 1er roman pour bébés », qui est aussi un clin d’œil à l’univers du roman, n’éloignera pas du livre un public un peu plus agé (les vieux jusqu’à 6 ans voir plus). Dans les témoignages des premiers lecteurs, j’ai beaucoup de parents qui me disent que les grands frères, les grandes sœurs s’approprient aussi le livre, ceux qui commencent juste à déchiffrer, qui reconnaissent les lettres, ou qui commencent à lire. On ne sait jamais finalement par qui un livre est reçu…

     

     

    Votre ouvrage fait une grande confiance aux lecteurs puisque ceux-ci doivent s'approprier les codes graphiques que vous utilisez. Pensez-vous que ce livre s'adresse à tous les types de lecteurs ?

    D’abord oui, je pense que l’on peut faire confiance aux lecteurs (petits et grands). Ils sont souvent pertinents, créatifs, ils m’ont à de nombreuses reprises fait découvrir des aspects de mes livres. Et puis une fois que le livre est paru, il est à eux, c’est eux qui le font vivre. Je ne pense pas que « Caché ! » soit difficile à lire, au contraire, mais je sais que proposer un livre sans illustrations, un roman, à des tout-petits peut paraître intimidant pour les grands lecteurs. C’est sans doute un livre qui aura besoin d’être accompagné pour que les adultes se lancent. Lors de mes premières dédicaces, la plupart des gens à qui je l’ai présenté se sont laissés embarquer parfois un peu sceptiques, pour voir… et, pour mon plus grand plaisir, j’ai eu beaucoup de messages qui me disaient : « mon petit adore, il le réclame, on le lit plusieurs fois par jour, on s’amuse bien … »

    J’ai aussi une dame qui, quand je lui ai expliqué le concept du livre, m’a dit d’un air offusqué et pas très aimable :

    « - Vous êtes sérieuse ? »

    Oui je suis sérieuse ! Enfin, pas toujours.

     

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    Vous pouvez retrouver ce titre sur notre boutique en lign. Il suffit de cliquer ici :

    Caché de Corinne Dreyfuss - éd. Thierry Magnier

     

     

     

     

     

     

  • ENTRETIEN AVEC VINCENT CUVELLIER

    Vincent Cuvellier, écrivain & Co.

     

    Une bande dessinée (sa première pour les grands), un album poétique sur la paternité, un nouvel épisode de l’impertinent Emile, la réimpression de son documentaire sur les présidents de la république, un récit autobiographique décalé sur le statut de l’écrivain… Et puis l’ouverture à Bruxelles d’une bouquinerie Les Gros Mots… Le printemps sera particulièrement dense pour l’écrivain Vincent Cuvellier. L’occasion pour nous de faire un point avec lui sur son actualité.

     

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    Bonjour Vincent, vous publiez plusieurs ouvrages simultanément et une impression se dégage fortement de ces publications. Vous êtes, en tant qu’écrivain bien sûr, mais surtout en tant que personne, extrêmement concerné par les sujets que vous traitez (la paternité, l’écriture, la vie d’écrivain). Parlez-nous de votre projet  Je ne suis pas un auteur jeunesse ? Pourquoi l’écrire maintenant ? Quel message voulez-vous porter avec ce récit ?

    VC : Bonjour, ça fait longtemps que j’avais envie de parler de mon métier… l’écriture, c’est mon truc depuis que je suis tout petit, depuis que j’ai 17 ans je me faufile là-dedans, avec des hauts et des bas… j’avais envie d’en parler à ma manière, simplement, avec pragmatisme, mais aussi en râlant contre quelques trucs que je n’aime pas…

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    Avez-vous vu la situation d’écrivain changer depuis ce temps ? Etes-vous inquiet ou optimiste pour les années à venir ?

    VC : Je pense qu’il n’y a jamais eu autant de gens qui écrivent, et qu’un écrivain lambda n’a jamais été aussi mal payé… je pense qu’il devrait y avoir moins de livres publiés mais que ceux-ci soient mieux valorisés.

     

    Quel rôle dans votre livre jouent les personnages de Claude François, le Général de Gaulle ou Lino Ventura ?

    VC : Ils apportent un peu de recul… ils me disent quand je déconne, quand j’exagère, quand je m’énerve… ce sont mes amis imaginaires, quoi !

     

    Vous publiez également Mon fils qui est un long texte poème autour de la relation père-fils. D’où vous est venue cette envie et comment s’est déroulé le travail avec l’illustratrice Delphine Perret ?

    VC : Pour moi, ce livre, c’est la suite de « la première fois que je suis née »… je l’ai fait pareil, dans la même énergie… j’ai demandé à Delphine Perret, parce que c’est une des rares illustratrices qui n’a pas besoin d’auteurs : elle le fait très bien elle-même… du coup, quand elle illustre le texte d’un autre, c’est vraiment parce qu’elle veut le faire… on a travaillé comme je le fais toujours avec les illustrateurs : on discute bien du projet en amont, pour être sûr qu’on fait bien le même livre, et après, je laisse faire, n’intervenant que si besoin…

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    Vous avez conscience que c’est finalement assez rare cette relation auteur-illustrateur dans l’édition jeunesse ? Le travail que Delphine Perret a effectué sur votre texte est admirable de simplicité et de puissance. Comment l’avez-vous perçu ?

    VC : Ah mais pour moi, c’est tout à fait normal, c’est quelque chose que je défends depuis mes débuts… travailler avec un illustrateur et un éditeur, ça fait partie de mon job, autant que l’écriture elle-même… je fais des livres, en entier, pas qu’un texte. Et Delphine, je lui ai demandé d’illustrer mon texte, justement pour sa simplicité et sa sensibilité. Et puis, c’est une illustratrice qui écrit ses propres textes, si elle illustre d’autres textes, c’est qu’elle en a vraiment envie, qu’elle a un truc à dire avec.

     

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    Vous publiez également un nouvel épisode de la série Emile : Emile fait l’enterrement.

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    Comme toujours, le personnage est à la fois sans concession, impertinent et en même temps terriblement touchant. Etes-vous fier de la manière dont la série se développe et où vous l’emmenez histoire après histoire ? On a le sentiment que vous ne vous interdisez rien par rapport aux thèmes abordés.

    VC : Oui, pourquoi je m’interdirais des choses ? et c’est aussi parce que avec l’illustrateur et l’éditrice, nous sommes sur la même longueur d’ondes… Emile n’est pas tout à fait un personnage comme les autres… quand j’écris ses histoires, je dois me mettre à la fois dans un cadre de narration très strict, et dans une liberté très large… Emile, c’est un concentré de plein de choses de moi, de ma vie, de ma manière de voir plein de trucs… c’est un espace de liberté, j’en profite…

     

    C’est du coup assez jouissif pour les lecteurs que nous sommes de profiter également de cette liberté. Pourquoi d’après vous est-ce si rare ?

    VC : Ah pour plein de raisons… sans doute un certain conformisme… la liberté, c’est pas un truc qu’on obtient tout de suite, faut aller la chercher avec les dents… c’est aussi mon critère de choix numéro un pour choisir mes éditeurs…

     

    Enfin, on ne pouvait pas ne pas parler de l’ouverture de votre bouquinerie à Bruxelles, votre ville d’adoption. Elle s’appelle LES GROS MOTS (cela vous va bien je trouve). Dites-nous ce que nous pourrons y trouver ?

    VC : C’est une boutique et c’est aussi mon bureau : il y a des vieux livres, des plus récents, des jouets, des affiches, des dessins, mais que des trucs que j’aime bien… ça ressemble un peu à chez moi, mais un chez moi où on peut rentrer et acheter les trucs… l’autre jour, j’ai entendu des jeunes femmes qui sortaient en disant « ohlala, qu’est-ce que c’est mignon ! » C’est cool !

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