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bandes dessinées - Page 4

  • ADRASTEE T01 (Mathieu BABLET) - chronique de Fabien #11

    ADRASTEE T01

    Mathieu BABLET

    Ankama - 15.90 €

     

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    Adrastée c’est mon coup de cœur BD du moment !

    Tout commence dans une ville oubliée des hommes : L’hyperboré.

    Un enfant, dès qu'il boit ou mange, recrache un caillou. Cela l’amuse un moment et puis il s’en lasse et arrête de manger. On découvre alors qu'il n’a aucun besoin vital. Il est l'homme immortel. Ce jeune garçon grandit et devient roi. Débute donc l’histoire d’un roi immortel qui s’endormit pendant 1000 ans.


    On avait déjà vu le dessin de Mathieu Bablet dans La belle mort et dans le 2e tome de DoggyBags. Ici, il revisite la mythologie grecque : les harpies dévoreuses d’hommes, Talos le géant, la création de Héphaïstos et les cyclopes fils de Poséidon. On y croise des dieux, protégeant ou mettant notre héros à l'épreuve, des hommes, des femmes, des monstres. Toutes ces rencontres vont rythmer le voyage de notre immortel qui n’a lui qu’une seule volonté : Atteindre l’olympe.

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    Une œuvre profonde et magique qui nous replonge dans l’univers incroyable de la Grèce antique. On y suit ce héros, qui se questionne en permanence, à la recherche de son passé. C’est un personnage torturé auquel on s’attache, tout ça dans un monde rempli de clins d’œil et de fantaisie.

    Le tome 2 est prévu pour janvier 2014.

     

  • BLUE SPRING RIDE (Io Sakisaka) - chronique de Gwenn

    BLUE SPRING RIDE

    Io SAKISAKA

    Kana - 6.85 € le volume

     

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    On dit que le plus bel et le plus pur amour est celui partagé mais inavoué par deux jeunes gens.

     Io Sakisaka (Strobe edge) nous présente son nouveau manga au trait fin et duveteux avec des personnages très attachants.

     L’histoire tourne autour de Futaba, une jeune lycéenne qui a décidé de changer de personnalité pour se faire plus facilement des amis. Alors qu’elle était douce et timide au collège, la perte de son premier amour lui a donner l'envie de changer pour ne plus se mettre à l'écart de ses camarades. Elle devient plus "garçon manqué". Au lycée, elle croit recroiser ce premier amour et va vite découvrir les limites de son changement de comportement. L’amour plane toujours mais il ne semble plus possible. Pourtant Futaba semble encore très liée et ne voudra pas lâcher... Ce dernier parviendra-t-il à lui fera comprendre que ces nouvelles amitiés sont fausses faites de faux-semblant ? Il va tenter de lui donner quelques conseils. Elle va peu à peu réapprendre à s’accepter telle qu’elle est...

    Ce shojo est très doux et kawai. Une très belle histoire d'amitié et d'amour pour l'été...


    Deux tomes sont déjà sortis, le troisième sort le 4 octobre 2013 (7 tomes sont déjà parus au Japon).

     

     

  • Wolverine Snikt ! (Tsutomu Nihei) - chronique de Fabien #08

    WOLVERINE SNIKT !

    Tsutomu NIHEI

    Marvel Graphics Novel - 18.30€

     

    http://www.manga-news.com/public/images/vols/wolverine_snikt.jpg

     


    Et si Tsutomu Nihei (Blame, Biomega, Knight Of Sidonia,…) revisitait le mythe de Wolverine l’homme immortel aux lames coupantes dans un monde comparable à ceux de Blame ou Biomega, ca donnerait quoi à votre avis ?

     

    ce livre existe ! et il s'appelle Wolverine SNIKT !


     

    Longtemps en rupture, cet ouvrage vient d'être réédité.
    Wolverine est accosté par une jeune fille qui a besoin de son aide pour tuer des Silicates. Des monstres difformes qui dévorent tout ce qu’elles trouvent.

     

    On n'est certes pas sur un scénario incroyable, mais le dessin et les coups de griffes sont totalement efficaces. Intégrer un personnage de comics dans un univers cyberpunk de manga c’est déjà une idée assez folle. On y retrouve l’humour et le caractère propre à Wolverine via les traits et la beauté de l’univers de l’auteur et dessinateur, qui sont vraiment uniques en leur genre.

     

    http://cyberdungeon.free.fr/newforum/topics/snikt_01.jpg

     

    si vous avez adoré les autres oeuvres de l’auteur, je vous conseille vraiment de lire SNIKT! qui s’inscrit vraiment dans l’univers Cyborg de NIhei, tout ça en couleur avec son trait irréprochable et vraiment distinct.

     

     

  • La splendeur du pingouin (Hurwitz, Aaron, Kudranski & Pearson) - chronique de Fabien #07

     LA SPLENDEUR DU PINGOUIN

    Gregg Hurwitz - Jason Aaron - Szymon Kudranski - Jason Pearson

    Urban Comics - 15€

     

    http://i1242.photobucket.com/albums/gg523/chti1/album%202/album%203/485583_551035298269133_710609781_n_zps59576946.jpg

     

    "Tu es très fragile, tu dois toujours garder un parapluie sur toi en permanence.Et tu dois toujours rester à mes cotés"

     

    Dans ce nouvel opus de la Collection DC Nemesis, nous allons nous intéresser à un personnage aussi charismatique et intrinsèque au monde de Batman : Oswald Chesterfield Cobblepot ou plus simplement le Pingouin.

     On y attaque la vie glauque et rejeté du personnage. Dernier de sa lignée, rejeté par son père qui le traite comme un monstre, maltraité par ses frères. Il ne trouvera refuge que dans sa mère qui essayera tant bien que mal à le protéger de tout ça. 

     
    Teigneux. Aigri, laid, difforme, méchant, il s’agit de pointer le doigt sur un personnage hors-norme de l’univers Batman, à l’inverse de ces compères il est un homme publique riche et un criminel mystérieux entouré d’ombres et de mystère.

     

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     On y voit sa relation avec les femmes, entre celle qui l’aime sans le voir, à celle qui l’a vu naitre et grandir. et comment ces passions, et cette haine cumulé le pousse a se retrancher au plus profond de lui même. Toute cette histoire, et ce scénario mis en place par un fabuleux dessin. Un vrai plaisir à lire.

     

     

  • interview de Cédric RASSAT et Raphaël GAUTHEY (par Christophe Aimé le magnifique)

    On ne vous le répètera jamais assez ! Allez voir le blog de Christophe Aimé. Il y a plein de trucs géniaux à découvrir. Sinon, on vous retranscrit ici la très belle interview BD qu'il vient de mettre en ligne. Au programme : Cédric Rassat et Raphaël Gauthey les auteurs de la série On dirait le sud

    bonne lecture !




    CEDRIC RASSAT & RAPHAËL GAUTHEY

    L’été commence à brûler les peaux blanches en manque de vitamines D. Partout, les insectes s’excitent et se font entendre. La verdure s’apprête à agoniser. L’envie d’aller piquer une tête vous démange le maillot de bain. Les gouttelettes ne peuvent s’empêcher de faire la course le long de vos boissons fraîches… La chaleur est là. Devant et derrière vos lunettes de soleil. Le timing ne pouvait pas être plus parfait pour vous pencher sur les deux tomes passionnants de On Dirait Le Sud. Pour lire l’interview de Cédric Rassat et Raphaël Gauthey, les auteurs talentueux qui pendant trois ans, dans le four de l’été 1976, nous ont tenu en haleine avec leur chronique sociale déroutante. Chaud devant… (chRisA – juillet2013)


    On Dirait Le Sud 1

    Vous connaissiez-vous avant de vous lancer dans l’Aventure 76 ? Qu’attendiez-vous l’un de l’autre ?

    Cédric : Non, c'est Emre Orhun, un ami commun (avec qui j'ai aussi fait Erzsebet et La Malédiction du Titanic chez Glénat), qui nous a mis en contact. A l'époque, en 2003, Raphaël commençait à envisager de se mettre à la BD et moi je cherchais à développer de nouveaux projets avec d'autres dessinateurs… Je crois qu'à ce stade, je recherchais surtout une autre forme de collaboration. Je voulais m'éloigner autant que possible de William Panama et de La Frontière, mes deux premières séries qui n'avaient pas bien fonctionné. Avec Raphaël, on a tout de suite eu un vrai échange et des discussions sérieuses et constructives. Les bases de ce qui allait devenir On dirait le Sud sont venues très vite.

    Cédric, quel(s) adjectif(s) et quelle(s) métaphore(s) emploierais-tu pour dresser le profil de ton compère Raphaël ?

    Cédric : Pas de métaphore, mais disons que Raphaël a une vraie exigence par rapport à son travail. Il est très appliqué et méticuleux, et il se remet beaucoup en question. Pour moi, c'est aussi une source de motivation, même si je suis aussi exigeant et assez critique avec mon propre boulot. En plus, je pense que son sens de la mise en scène et son regard très "cinématographique" m'aident aussi beaucoup du point de vue de l'écriture.

    Raphaël, si tu devais dessiner le portrait de Cédric, comment t-y prendrais-tu ? Et quelles couleurs utiliserais-tu ?

    Raphaël : Une couleur ? Disons une couleur chaude... Après, ce qui caractérise Cédric, c'est le dialogue et l'ouverture. Nous discutions beaucoup sur les différentes scènes et il a toujours pris mon avis en considération. Sinon, pour l'anecdote, on peut dire que j'ai déjà dessiné Cédric, puisque je retrouve beaucoup de sa personnalité dans le personnage de Claude.

    Il faut sacrément bien s’entendre pour travailler sur un projet de quatre (?) ans. Quelles qualités et quels défauts ce projet a-t-il révélé chez l’un comme chez l’autre ?

    Cédric : La genèse de ce projet s'est étalée sur une période beaucoup plus longue, puisqu'on a commencé à en discuter et que j'ai écrit les premières scènes dès 2003. Ensuite, le projet a été présenté à Delcourt en 2006. Le tome 1 est paru en 2010 et le 2 en 2013… Pour en revenir à la question, je dirais que le travail de Raphaël (mais le mien aussi, d'ailleurs) s'est beaucoup affiné entre les deux albums. La base est évidemment la même, mais sa mise en scène s'est épurée et son travail sur la lumière et les couleurs est devenu encore plus précis.

    Qui a eu l’idée de On Dirait Le Sud ? Quel a été le déclencheur ? Pourquoi avoir choisi cette époque et ce contexte ?

    Cédric : L'idée de base est venue de notre première discussion. Raphaël avait en tête un projet de chronique familiale. C'était encore assez vague, mais il savait déjà qu'il voulait impliquer plusieurs générations de personnages (un grand-père et une petite-fille, notamment) et situer le récit dans le milieu ouvrier d'une petite ville du centre de la France qui, dans son esprit, ressemblait un peu au Creusot. L'idée des années 70 est venue d'une réflexion sur les personnages : on savait que le grand-père devait avoir vécu la Seconde Guerre mondiale et que les parents devaient avoir une trentaine d'années. En pensant à la fin des années 70, j'ai très vite fait le lien avec la canicule de 1976. Il me semblait intéressant d'utiliser l'idée de cette chaleur accablante pour faire naître une tension de plus en plus pesante entre les personnages. Et puis, comme il s'agissait d'un milieu ouvrier, j'ai pensé qu'il pourrait être intéressant de centrer le récit sur un personnage de syndicaliste qui, par essence, se situe forcément entre le camp des patrons et celui des ouvriers. Enfin, l'été 1976 nous permettait d'évoquer l'affaire Ranucci et la question de la peine de mort. Et comme cette question rejoignait aussi, via Badinter et l'abolition de 1981, celle de l'élection de Mitterrand, ça nous a permis d'affiner la réflexion sur les idéaux des personnages (le récit se situe peu de temps après l'échec de Mitterrand à la présidentielle de 1974 et cinq ans avant son succès de 1981 ; on est donc dans une sorte de "temps mort").

    Comment vous êtes-vous imprégnés de la France de cette époque ? Avez-vous fait un gros travail de documentation ?

    Cédric : Je pense qu'on avait grosso modo les mêmes références, un mélange de souvenirs personnels (assez vagues, tout de même), d'histoires familiales (photos, etc) et d'images issues de films de cette époque. Raphaël a beaucoup puisé dans les films de Claude Sautet, notamment… 

    Raphaël, comment voyais-tu, graphiquement parlant, cette époque ?

    Raphaël : J'ai d'abord eu des sortes de flashs. Des images de types, avec cheveux longs et moustaches, qui couraient sur un terrain de football avec un maillot vert, mais aussi des voitures, des objets, des couleurs, des visages, bref, plein d'éléments en vrac qui sortaient de mon inconscient et qui m'ont servi de point d'ancrage. Ensuite, comme le disait Cédric, j'ai puisé dans des photos de famille et me suis référencé aux films de l'époque.

    Si je vois On Dirait Le Sud comme un roman-photo social et une chronique humaine en pleine chrysalide, vous approuvez ou contestez ?

    Cédric : Chacun sa lecture… En ce qui me concerne, j'évoquerais plutôt une chronique familiale sur fond de crise sociale et idéologique. Et je pense que le récit se focalise aussi beaucoup sur la canicule, et l'idée que chacun peut se faire de l'été, au sens large.

    Le scénario, a-t-il beaucoup changé dans les trois années qui ont séparé les deux tomes ?

    Cédric : Le scénario du second tome ? Non, il a très peu changé. Je crois qu'il n'y a qu'une scène qui a bougé un peu dans la séquence de l'orage. Quelques dialogues ont aussi été modifiés ou ajoutés, ici ou là. Mais on parle vraiment de retouches… En fait, dès le départ nous avons pensé cette histoire comme un tout. Nous avions même l'intention de réaliser un one-shot… Beaucoup de scènes du tome 2, et notamment la toute fin de l'album, étaient déjà plus ou moins prêtes lorsque j'ai commencé à écrire le tome 1 en 2003. Le scénario du tome 2 a été achevé en novembre ou décembre 2009 et Raphaël avait déjà entamé les crayonnés de "La Fin des Coccinelles" lorsque nous avons sorti le premier album. Après, tout ce que je peux dire c'est que le scénario du second tome ressemble très précisément à ce que nous recherchions depuis le début. Raphaël a travaillé sur les planches pendant trois ans et nous avons vraiment eu le temps de relire ce récit et de l'envisager sous toutes les coutures. Donc, si nous n'y avons rien changé, c'est parce qu'il nous convenait très bien.

    Cédric, comment t’est venue cette incroyable galerie de personnages ? Lequel d’entre eux a été le plus simple et le plus difficile à concevoir sans tomber dans la caricature ?

    Cédric : Les personnages sont tous venus un peu différemment. Max Plume s'est construit sur un jeu de mots que je voulais faire sur son nom ("Désolé, mais vous ne faîtes pas le poids, Monsieur Plume.")… Celui du chef des gendarmes, avec son délire sur les enfants disparus, est venu en quelques secondes, lorsque je travaillais sur la scène de l'étang. Celui de Claude était plus difficile, car c'est un taiseux. Il se construit dans son rapport aux autres et notamment avec la petite fille. Evidemment, Luce était aussi très importante… Les deux sœurs se sont construites en opposition l'une à l'autre. Sylvia est très seule (un peu plus que les autres, en toute cas), mais elle a une vraie réflexion intérieure, alors que Marie semble plus superficielle, mais aussi plus sociable… Il n'y pas de règle, en fait. Je crois qu'il y a des moments où certains détails émergent et permettent de fixer, de "reconnaître" un personnage. Ensuite, il faut travailler pour développer cette idée et lui donner, disons, "du corps".   


    On Dirait Le Sud 2

    Si vous deviez-vous faire l’avocat du diable d’un des personnages ? Lequel serait-ce ?

    Cédric : Probablement Max Plume… Même si je n'ai pas forcément envie de le défendre. En tout cas, ce que j'aime bien avec ce personnage c'est qu'il n'est pas à sa place. Il est faible et sans conviction, alors que sa fonction exigerait plutôt l'inverse. C'est un imposteur, mais personne ne s'en est encore rendu compte… Et ce sont ses renoncements et ses lâchetés qui scandalisent le lecteur et lui donnent, a priori, envie de réagir.

    Raphaël, d’où te vient ton style graphique magnifique au demeurant ? Comment travailles-tu ? Peux-tu lâcher UN secret de ton savoir-faire ?

    Raphaël : En fait, il n'y a pas de secret. J'ai une technique très simple. Je travaille mes crayonnés sur papier, que je scanne et que je mets en couleur sur informatique, uniquement avec une brosse et des calques, comme j'aurais pu le faire à la peinture. J'utilise uniquement un effet de flou sur Photoshop pour donner l'impression de vitesse dans certaines scènes.

    L’art d’Edward Hopper semble avoir été une grosse influence pour ce projet, non ?

    Raphaël : Pas directement. Même si j'adore ce peintre, je pense qu'il m'a nourri comme beaucoup d'autres artistes. La spécificité de On dirait le Sud était que le lecteur devait ressentir une sensation de chaleur étouffante. C'est pourquoi j'ai travaillé comme je le faisais en illustration, avec une attention particulière sur les modelés, les couleurs et les lumières. Ensuite, il fallait que les images restent lisibles, j'ai donc simplifié les formes à la manière des cubistes, en tendant les lignes comme peuvent le faire Albert Gleizes ou Jean Metzinger.

    J’adore le rythme palpitant et cette tension progressive dans la narration. Quelles autres sensations vouliez-vous que le lecteur éprouve ?

    Cédric : C'est une histoire sur le sentiment de communauté, donc il était important de croiser un certain nombre de trajectoires individuelles afin de donner une dimension plus "collective" au récit. En plus, j'aime assez l'idée de jouer avec la tension ou les contrastes qui peuvent naître du croisement de ces différentes histoires. Cela peut amener des effets comiques, comme dans la scène du bar du premier album où une discussion sur une pomme et Joe Dassin croise un échange sur les licenciements à venir dans l'usine locale, mais cela peut aussi créer une certaine distance et permettre de relativiser certains événements de la vie des personnages. Et puis, je pense aussi que cela correspond à une description réaliste du quotidien, où les destins individuels se croisent et s'entrechoquent en permanence. Enfin, là j'enfonce une porte ouverte… 

    Au regard de la multitude des pistes narratives de ce diptyque, on sent que vous auriez pu en faire une trilogie. Pourquoi avoir choisi de tout dire en deux tomes ?

    Cédric : Oui, c'est vrai que la matière narrative est riche et qu'elle aurait pu être développée sur trois tomes… En fait, pendant longtemps, nous avons pensé pouvoir réaliser un one-shot de 80-90 pages. Et puis, en écrivant le scénario du tome 1 j'ai compris que le récit allait sûrement devoir s'étaler sur plus de cent pages. Donc, comme nous pouvions difficilement présenter un one-shot de 100 pages couleurs (à l'époque, en 2006, c'était moins en vogue), nous avons opté pour le diptyque. Dramatiquement, cette construction en deux parties me convient très bien, puisqu'elle me permet de jouer sur des effets miroirs (certaines se répondent, d'un album à l'autre) et d'accentuer certaines ambiances (le tome 2 est plus sombre que le premier, ce qui était sous-jacent ou inconscient, finit par éclater au grand jour, etc). En trois tomes, la construction aurait sans doute été moins tendue et moins dramatique…

    Cette France d'il y a presque 40 ans sous microscope, la chanson de Nino Ferrer en bande-son, à quel niveau pensez-vous que la nostalgie joue un rôle dans ce diptyque ? 

    Cédric : Si, par nostalgie, vous entendez l'idéalisation d'une époque révolue ou l'ambition un peu folle de revivre le passé, je dirais qu'il n'y en a pas dans cette histoire. En tout cas, pas pour nous… Bien sûr, On dirait le Sud s'inscrit dans une époque lointaine et décrite avec une certaine précision, mais je crois que ce n'est pas l'aspect le plus important de ce récit. J'aurais même tendance à penser que cette histoire est beaucoup plus intemporelle qu'on l'imagine, a priori. Par exemple, l'idée du temps qui dure "plus longtemps" lorsque l'on est enfant est très répandue, finalement, et tout le monde peut s'y retrouver. Mais elle n'est pas spécifique aux années 70. La façon dont on aborde le passage du temps est toujours différente selon que l'on est enfant ou adulte. C'était vrai dans les années 70, ça l'était probablement déjà dans les années 20 et ça l'est, de toute façon, encore aujourd'hui. Donc je dirais plutôt que notre réflexion porte plus sur la vie en général que sur cette période en particulier. C'est pour ça que je pense qu'il n'y a pas vraiment de nostalgie… Mais rien n'empêche nos lecteurs de regarder cette époque avec leur propre sentiment nostalgique.

    Pensez-vous que la France 2013 est si différente de celle de 1976 ? Personnellement, je serais tenté de répondre par la négative...

    Cédric : Dans les rapports humains, non, évidemment. Mais à l'intérieur de l'entreprise ou dans la réflexion politique globale, oui, je pense. Déjà, il me semble que le simple fait que des gens comme Le Pen ou Sarkozy aient pu trouver une audience attentive chez les ouvriers est vraiment le signe d'un effondrement de la pensée et de l'engagement politique dans ce milieu. Comment un ouvrier peut-il imaginer que Sarkozy ou Le Pen aient réellement l'ambition ou le projet de servir ses intérêts ? Ça me dépasse complètement… En tout cas, je pense que ce renoncement politique et cet effondrement de la pensée ont considérablement déséquilibré les rapports de force à l'intérieur de l'entreprise. Certains patrons y ont gagné un pouvoir encore plus fort. Et beaucoup d'entre eux utilisent ce pouvoir accru pour mettre encore plus de violence dans les rapports qu'ils entretiennent avec le reste des forces vives de leur entreprise. La situation est très malsaine et ne donnera rien de bon.

    Croyez-vous que le syndicalisme commence à prendre un virage particulier sous la France de Giscard ?

    Cédric : Ouh là, je ne suis pas historien du syndicalisme, loin de là… Je ne sais pas si c'est vraiment lié au giscardisme. C'est Mitterrand qui a atomisé le PC, non ? Et puis, la société a beaucoup changé… Je pense que les changements de mentalité sont nés dans les années 80 et qu'ensuite ils ont accompagné l'ascension du FN et de Sarkozy dans le paysage politique français…

    A quoi aurait ressemblé la France si Michel Sardou, au lieu d’être en chanteur extrêmement populaire, avait été Président de la République ?

    Cédric : Sardou président ? Ça aurait été la guerre civile, non ? Voire la guerre tout court si l'on pense à des chansons comme "Les Ricains" ou au fameux "Temps des colonies"… Bien sûr, dans notre album, l'allusion à Sardou est avant tout une blague, mais il est vrai qu'il y a aussi un fond idéologique. Déjà parce que Sardou est quand même l'un des représentants de cette droite populiste et réactionnaire qui fait toute la fierté de la connerie française, et ensuite parce que "Je suis pour" est vraiment l'une des chansons les plus épouvantables que je connaisse. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment des radios ont pu accepter de diffuser un tel plaidoyer pour la peine de mort et un disque dans lequel sont prononcées des phrases comme  "J'aurai ta mort !" ou "J'aurai ta tête en haut d'un mât". Vous imaginez le tollé si un rappeur, quel qu'il soit, avait chanté des trucs pareils ?

    Nino Ferrer, c’est l’exact opposé de Michel Sardou ?

    Cédric : L'opposé, peut-être pas totalement, mais c'est très bien, en tout cas ! Non, en fait, je crois que Ferrer et Sardou sont surtout là pour ancrer le récit dans une forme de culture populaire française qui est, certes, liée aux années 70, mais qui a aussi une valeur intemporelle. C'est vrai pour "Le Sud", bien sûr, car c'est une chanson magnifique, magique, et qui traverse le temps avec une majesté incroyable, mais ça l'est aussi pour certaines chansons de Sardou qui, quoiqu'on en pense, sont quand même gravées dans l'inconscient collectif. Après, pour en revenir au "Sud" et donc au titre de l'album, je dirais aussi que, pour nous, il s'agit d'une allusion à la chaleur, bien sûr, mais aussi aux illusions que les personnages ont en tête. Le gendarme croit qu'il peut retrouver ici, dans le centre de la France, les victimes d'un tueur qui sévit dans le sud, et la population vit avec l'angoisse que font naître toutes ces disparitions ("La France a peur", comme disait Roger Gicquel). Et puis, il y a cette idée de la perception du temps ("Le temps dure longtemps…")  qui, selon moi, évoque aussi bien l'été (les journées plus longues, etc) que l'enfance. 

    Qu’est-ce qu’évoque pour vous l’Affaire Christian Ranucci qui tient ici une place importante dans le scénario ?

    Cédric : Disons qu'au-delà de l'injustice flagrante, puisque Ranucci n'était visiblement pas coupable dans l'affaire du "pull-over rouge", cette histoire nous permet surtout d'évoquer la question de la peine de mort et, donc, de son abolition. Or comme celle-ci est aussi associée au mitterrandisme et à l'arrivée de la Gauche au pouvoir, je trouvais que ça cadrait bien avec notre propos. Pour moi, l'abolition de la peine de mort correspond vraiment au passage d'un monde ancien et barbare à, disons, une forme de civilisation. Il n'est, d'ailleurs, pas étonnant que Sarkozy ait envisagé, dans certains discours, la possibilité de revenir sur cette abolition et de réinstaurer la peine de mort "dans certains cas". On voit bien que l'éveil des consciences n'est pas son souci principal… 

    A l’image d’autres destinées dans le livre, laisse-t-elle supposer que les boucs-émissaires font de bons salauds mais que les vraies pourritures s’en tirent toujours ?

    Cédric : J'espère que non. Mais, sinon, oui, je pense que la vie est globalement injuste. Et donc qu'une bonne injustice permet de rendre plus crédible, ou plus réaliste, le récit. En fait, l'injustice sonne "juste". Hum…

    Qu’est-ce que les coccinelles incarnent ici quand on sait qu’elles sont magnifiques, qu’on les appelle les bêtes à bon Dieu et qu’elles sont capables de se goinfrer de pucerons…

    Cédric : L'évocation des coccinelles est venue de quelques témoignages de personnes qui se souvenaient d'en avoir vues beaucoup pendant l'été 1976. Il paraît qu'elles accompagnent souvent les grandes vagues de chaleur… En ce qui me concerne, je les utilise surtout comme une métaphore de l'idéologie communiste, ou de l'engagement à gauche. Mais c'est très personnel… 

    Comment ressort-on d’une telle aventure lorsqu’elle occupe un tel pan de votre vie ?

    Cédric : Ben, pour nous, c'est presque une aventure de dix ans. Donc, oui, forcément, ça laisse des traces… Après, je crois qu'on ne peut pas encore se détacher de cette histoire, car on a beaucoup de choses à voir avec l'éditeur. L'indisponibilité du tome 1 est un vrai souci. Là, on revient d'une longue tournée de dédicaces et personne ne comprend… Les libraires, les lecteurs, les auteurs, tout le monde s'interroge.


    Quels sont vos futurs projets ? Avez-vous d’autres projets en commun ?

    Cédric : On travaille actuellement sur un projet de polar qui se situe dans les années 60. On en discute depuis un moment et je pense qu'on devrait le présenter d'ici quelques mois. On veut que cette histoire se limite à un seul tome de 80 ou 90 pages. Et elle ne paraîtra pas chez Delcourt.

    La première année très pluvieuse du quinquennat de François Hollande, pourrait-elle vous inspirer… ?

    Cédric : Non, je pense qu'on n'y voit pas assez clair. On est encore dans l'après-Sarkozy. Le changement n'est pas pour tout de suite, visiblement…


    Un chaleureux et radieux MERCI à Raphaël Gauthey (ici à gauche), à Cédric Rassat (ici à droite) ainsi qu'à l'incontournable Simon.

     


  • Dédicace Eric VEILLE & Pauline MARTIN samedi 29 juin

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  • Dédicace de RASSAT et GAUTHEY pour leur BD "On dirait le sud" - jeudi 06 juin 14h30

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    « » et en effet, c’est une étrange sensation de temps suspendu qui plane sur ce pOn dirait le sud, le temps dure longtempsremier épisode de la série de Rassat et Gauthey, « une piscine pour l’été ».Un état d’apesanteur généré par la canicule qui plombe la France de 1976. Dans un village méridional, un syndicaliste intègre et ambigu, des membres d’une famille en décomposition, patrons et ouvriers se croisent. En toile de fond, la ronde quotidienne des hélicoptères et d’inexplicables disparitions d’enfants pouvant faire écho à l’affaire Ranucci, tollé politique qui annoncera la fin de la peine de mort. Cette chronique sociale et familiale nous replonge dans une période charnière qui laisse derrière elle les illusions du système libéral et qui annonce la fin des trente glorieuses. Une atmosphère étouffante restituée par le magnifique dessin de Gauthey qui n’est pas sans rappeler le réalisme des toiles de Hopper, où les lignes fortes tendent à montrer la profondeur psychologique des sujets.

  • Interview d'Emmanuel LEPAGE par l'excellent blog ami "I am a lungfish Song"

    EMMANUEL LEPAGE

    « Car le beau n’est rien que ce commencement du Terrible que nous supportons encore, et si nous l’admirons, c’est qu’il dédaigne, indifférent, de nous détruire. Tout ange est terrifiant. » En citant Rainer Maria Rilke en ouverture de Un Printemps A Tchernobyl (Futuropolis), Emmanuel Lepage sait qu’il a côtoyé là-bas le terrifiant et le beau. En 165 pages, il raconte sa bouleversante expérience en Ukraine dans une bande dessinée documentaire exceptionnelle. Au lendemain du vingt-septième anniversaire de la plus grande catastrophe nucléaire, rencontre avec l’un des artistes les plus doués de sa génération. (chRisA - mai2013)


    Un Printemps A Tchernobyl 1

    Aux lecteurs qui ne vous connaissent pas ou peu, pouvez-vous présenter l'artiste que vous êtes? Ce vers quoi il tend? Pouvez-vous aussi parler de l'homme que vous êtes?

    Je suis auteur de bande dessinée depuis maintenant plus de vingt-cinq ans. J'ai longtemps travaillé en collaboration avec des scénaristes avant de passer voici un peu plus d'une dizaine d'années maintenant à la création de mes propres histoires. J’ai toujours été plus attiré par des fictions contemporaines, la vie intérieure de mes personnages était le plus souvent le moteur de l’histoire. Très inspiré par la littérature sud-américaine et par ce que l’on appelle le Réalisme Magique, j’aime raconter des histoires qui ont une dimension fantastique ou poétique que ce soit dans le propos ou le dessin. J'aime raconter la complexité de l'être, hésitant entre ce qu’il est et celui qu’il voudrait être. L'humain est au cœur de mes préoccupations tout autant dans les fictions que dans mes bandes dessinées dites plus 'documentaires'.

    Depuis Voyage aux îles de la Désolation, vous semblez prendre un énorme plaisir à vous 'spécialiser' dans la bande dessinée documentaire. Pourquoi cette nouvelle orientation dans votre parcours artistique? Quel espace ce format vous offre-t-il?

    Je suis venu à cette forme un peu par hasard. Je n’imaginais pas que je puisse m’orienter dans cette voie. Quand on m’a proposé de participer à l’élaboration d’un projet pour monter à bord du navire ravitailleur des terres australes et antarctiques françaises, je vous avoue que je n’y croyais pas. Je pensais à l’origine faire un carnet de voyage à l’issue de ce périple, mais mon éditeur, Claude Gendrot, avec qui je travaille depuis plus de quinze ans m'a suggéré plutôt d’en faire une bande dessinée. J'avais besoin d’une promesse de publication pour embarquer. J'ai dit oui, plus par désir de partir que par désir de faire une bande dessinée documentaire! C’est à la suite de mon voyage face à cette somme de croquis de voyage réalisés à bord, puis d'illustrations faites à mon retour avant tout pour le plaisir de ‘fixer des visions’, que je me suis interrogé sur la façon d'organiser tout cela. Je m’y suis mis sans bien savoir ce que je faisais. J’avais le sentiment d'inventer une nouvelle forme narrative, réunissant, dans un même livre, tout ce que j'aime faire : croquis de voyage, bande dessinée, illustrations. Il y eut une très grande part d'improvisation et le livre se construisait au fur et à mesure. A l’inverse de mes autres livres, les images ont précédé le texte, ce sont elles qui ont organisé le récit. J’ai fait ce livre, dans un état de grâce, très vite, avec un énorme plaisir. Chaque jour, j’essayais de rendre cohérent ce chaos invraisemblable. 

    Comment vous situez-vous par rapport aux travaux d'autres auteurs comme Joe Sacco, Guy Delisle et Philippe Squarzoni par exemple?

    J’apprécie beaucoup les travaux des uns et des autres, je me retrouve parfois dans leur façon de se mettre en scène. Ceci dit, je crois que nos approches du récit en bande dessinée sont très différentes les unes des autres et que le seul point commun est de s'inspirer du réel et d'expériences vécues pour construire nos histoires. Je crois que la différence notable entre ces travaux que vous citez et le mien est la place que je donne au dessin et à son pouvoir évocateur. Je revendique fortement la part magique que peut avoir le dessin dans un récit et je pense voir le monde par ce biais.

    Pour vous, le documentaire sous-entend-t-il nécessairement une forme d'engagement? Si oui, comment définiriez-vous votre engagement?

    Je ne sais pas si je peux à proprement parler d'engagement. Disons plutôt que j'essaie de dire les choses le plus honnêtement possible en précisant clairement d'où je parle (quelle est mon histoire, le milieu d’où je viens, mes envies, mes rêves, mon engagement...) Que le lecteur comprenne que je ne détiens aucune vérité et que le point de vue est tout à fait personnel. Que ce soit dans la fiction ou dans un récit inspiré du réel, je crois que les thèmes développés sont souvent les mêmes, car c'est à cela que je suis attentif. Comme je le disais plus haut, j’aime dire la complexité des êtres et du monde, car c’est là que, pour moi, se situe l'humanité. La question du ‘point de vue d’où l’on parle’ est essentielle pour moi. Par ‘qui’ est vu l’histoire.

    Cinq ans, jour pour jour, après votre séjour à Tchernobyl, que ressentez-vous encore aujourd'hui? Le lecteur peut ressentir combien cette expérience vous a marqué. Quels sont les sentiments qui se sont estompés et ceux qui sont encore très vivaces?

    Je suis bien sûr toujours très sensible à ce qu’il s’est passé pendant ces quelques semaines en Ukraine au pied de la centrale de Tchernobyl. De revenir sur ces événements quatre ans après les avoir vécus, m’a demandé de renouer des fils un peu épars...mais, petit à petit, la mémoire m'est revenu. Les dessins y ont beaucoup contribué, ainsi que les notes nombreuses prises à l’époque. Je reste toujours sensible à la beauté de ces gens rencontrés dans ce village, la convivialité de notre maison lorsque nous dessinions tous ensemble dans cette belle lumière blanche du printemps. Je garde le souvenir aussi du silence de Pripiat, de l'angoisse à dessiner au pied de la centrale. Le bruit omniprésent du compteur. 

    Avez-vous encore des contacts avec les personnes que vous avez rencontrées là-bas?

    Je n'ai plus de contact avec les habitants de Volodarka, mais ils ont vu le premier ouvrage, Les Fleurs de Tchernobyl , que nous avions publié à l’issue de ce voyage et qui était l’objectif de l'association au sein de laquelle nous sommes partis. Par contre, j’ai renoué contact avec Pascal et Morgan, ainsi qu’avec Ania, notre guide, au cours de la réalisation de l’album. Quand à Gildas, il reste un ami précieux que j'ai découvert au cours de ce séjour. Nous nous voyons régulièrement puisque nous sommes voisins.


    Un Printemps A Tchernobyl 2

    Vous écrivez page 112 "Mon dessin ne dit rien du réel". Est-ce que ce constat vous a beaucoup perturbé dans votre fonction et votre regard d'artiste?

    J’ai cherché des 'signes’ tout au long de mon séjour. Quelque chose qui me dise l’horreur de cette réalité, un signe tangible. J’ai interrogé les personnes rencontrées, visité les cimetières, cherché ces ‘monstres’... Je n'ai compris que petit à petit que le terrible se cachait dans l’implicite, le silence des sens. C’est, je crois, cet abîme entre ce que je sais et ce que je vois, qui m’a convaincu de prolonger ce voyage et ce premier carnet de croquis dans une bande dessinée.

    Quelles convictions politiques, philosophiques et artistiques cette expérience a renforcé et a aussi transformé en vous?

    Partir à Tchernobyl n'est pas anodin. Je suis allé là-bas dans une démarche militante, puisqu’il s'agissait de ramener un carnet qui serait vendu au profit des enfants contaminés. Dominique, le président des Dessinacteurs, cette association dont je faisais partie et qui nous a proposé ce voyage, est lui très clairement engagé dans le combat contre le nucléaire et réalise régulièrement des dessins dans ce sens. Je voulais mettre mon dessin au service d'une cause que je croyais juste. Ce carnet devait être distribué et vendu par les membres de l'association et par le réseau Sortir Du Nucléaire. Il s’est avéré que la confrontation au réel a changé la donne et il ne fut pas simple de ‘justifier’ les dessins que nous ramenions, ni le refus de faire du carnet de croquis un livre qui allait dans le sens présumé de ce qu’attendaient les souscripteurs de ce projet. Nous avons été tiraillés entre ce pour quoi nous avions été ‘mandatés’, et ce qui nous semblait être d'une démarche intime et artistique. Nous avons d’abord cherché à être ‘juste’. Le débat sur le nucléaire est passionnel et il est très difficile d’avoir une réflexion adulte et raisonnée. Dire que le nucléaire est sans danger et que ceux qui sont contre prônent un ‘retour à la bougie’ est idiot et contreproductif. Dire que les pro-nucléaires sont inconscients ou vendu à Areva, n’est pas toujours juste non plus. J’aimerais une réflexion adulte sur ce sujet essentiel pour notre avenir, plutôt que cette infantilisation. On cherche le plus souvent plutôt à rassurer qu’à informer. Comme à des enfants. Il faut entendre les discours autour de la catastrophe de Fukushima qui étaient identiques à ceux entendus vingt-cinq ans avant. On ne semble rien apprendre du passé. Sortir du nucléaire impliquerait de revoir de fond en comble notre façon de vivre, une vraie réflexion sociétale, une forte responsabilisation. Quelle société voulons-nous, quels choix sommes-nous prêts à faire ?Il y aurait là un chantier passionnant à mener...mais je crains que nous en soyons loin. Le déni reste de règle et les lobbies très puissants.

    Vous avez beaucoup recours aux portraits. Pourquoi sont-ils à vos yeux si importants?

    Faire un portrait est un moment privilégié, voire magique. Il y a une intimité qui se créée d’emblée entre le dessinateur et le portraituré. C’est un moment où des choses se disent et qui influent sur le dessin. C’est surtout ma façon de dire que tout est humain.

    Sur chaque lieu, vous avez toujours votre matériel sur vous. Dans le feu de l'action, comment faites-vous pour dessiner, croquer, esquisser aussi vite et aussi justement?

    L’intérêt du croquis de voyage est d’être fait sur place, sur les lieux mêmes, face au sujet représenté. Je dois dire que tous les dessins ne sont pas finis sur place, car pris dans l’urgence ou dépendant d'un groupe, je n'ai pas toujours le temps d'achever le dessin au moment même. J'en fais parfois juste le bâti et l'achève le soir au calme, ou pendant le temps du voyage, me basant le plus souvent sur le souvenir, l’émotion. Dans notre maison, à Volodarka, Gildas et moi terminions des dessins entamés sur le terrain. Par contre, je suis incapable de terminer un dessin une fois rentré chez moi et pris dans d'autres choses plus quotidiennes. Bien sûr, il est difficile de tous les terminer au cours du voyage et nombres restent à l’état d’ébauche. Les portraits eux, sans exception, sont tous terminés dans l’instant et signés par la personne ‘croquée’ comme pour imprimatur! 

    Vous utilisez beaucoup de techniques différentes. En fonction des circonstances et de votre inspiration, comment décidez-vous d'utiliser une technique plutôt qu'une autre?

    C’est toujours dans l’instant que ça se décide, en fonction du temps et du matériel que j'ai à ce moment-là. J’essaie le plus souvent possible d'avoir le plus d'outils et de matériel pour me laisser cette amplitude. Ce n’est pas toujours le cas. Le plus souvent le matériel réduit à un carnet, un pinceau, un crayon et une toute petite boîte d’aquarelle, de manière à ce que tout tienne dans la poche.

    Votre œil est souvent celui du photographe. En quoi, pour vous, le dessin et la peinture sont-ils très différents de la photographie?

    Le dessin de voyage a ceci de particulier qu’il n’est pas la représentation d'un instant T comme la photographie, mais de la synthèse de plusieurs moments dans un même dessin. Le dessin de voyage demande du temps que l’on n’a pas toujours. Le temps limité implique que l’on aille à l’essentiel, que l'on recompose parfois ce que l’on voit. Tout ça de manière à être le plus proche de la réflexion ou de l'émotion que suscite le sujet représenté. Dessiner, c’est penser. 

    Les couleurs sont primordiales dans votre travail. Que vouliez-vous leur faire dire dans cet album? En termes de couleurs, quels artistes, quels peintres vous ont / et continuent à beaucoup vous influencer?

    J'ai voulu faire venir la couleur progressivement dans l’histoire de façon narrative. Je voulais qu'elle traduise cette vie qui, petit à petit, va s'imposer à moi alors que je m'attendais à trouver des terres sinistres, noires, des terres où rode la mort. J’ai été, je crois, beaucoup intéressé par des peintres ou dessinateurs de la nuit tels Le Caravage ou Georges De la Tour, des peintres romantiques du XIXe aussi pour leur représentation des éléments tels que Turner, Hugo, Caspar David Friedrich, Ivan Aïvasovsky, Delacroix ... Des aquarellistes comme David Roberts, Sargent, Laarson... Mais dire cela, c'est en oublier pleins d'autres qui, tout autant, m’ont influencé et nourri. J'aime regarder des images, j'aime comprendre les démarches des autres parce que je sais que ça me nourrit, me fait avancer et m'aide à garder les yeux ouverts.

    Personne n'avait jamais donné autant de couleurs à Tchernobyl. Comment expliquez-vous cela?

    Parce que peut être on se fait une idée ‘a priori’ de ce qu’on va y trouver et que l'on colle cette image sur les représentations… La mort ne peut se représenter qu’en noir et blanc? Telle est en tout cas l’idée que je m'en faisais, puisque j'avais essentiellement amené des outils ‘sombres’ tels que encre noire, fusains, crayons noirs... 

    En quoi votre travail se démarque-t-il de toutes les autres œuvres qui ont abordé le sujet de Tchernobyl?

    Chaque livre est le reflet de celui qui l'écrit. Le mien me correspond et j'essaie de faire partager au lecteur mon point de vue sans jamais, du moins je l'espère, en dissimuler toute la subjectivité.

    Vous êtes allé à Tchernobyl en avril 2008 et votre livre est sorti en novembre 2012, pouvez-vous nous parler de ces quatre longues années d'accouchement?

    Une fois le carnet de croquis pour lequel nous avions été envoyés là-bas publié, je savais que je n’en resterai pas là quant à ce voyage. Plus de la moitié des dessins réalisés sur place n'avaient pas été publiés, et ce qui avait précédé et suivi ce séjour n’était pas évoqué. J’avais d'abord pensé à une fiction mais la forme m’a été donnée par mon précédent livre aux Îles Kerguelen. Sans celui-ci, Un Printemps à Tchernobyl n'aurait pas existé.


    Un Printemps A Tchernobyl 3

    Quelles relations entretenez-vous avec votre éditeur (Futuropolis)? En quoi vous aide-t-il pour de tels projets?

    J’entretiens d’excellentes relations tant amicales que professionnelles avec mon éditeur Claude Gendrot. Il est mon éditeur depuis La Terre Sans Mal chez Dupuis et je l'ai suivi quand il a été licencié de Dupuis par le groupe Média en 2006, en même temps que d'autres auteurs de Aire Libre, tels Lax, Jean-Pierre Gibrat, Étienne Davodeau, Frank Legall, Emmanuel Moynot, car nous soutenions son rapport au livre, à la création, son idée de l’édition. C’est un complice attentif et précieux qui me donne la confiance que je n'ai pas. C’est lui qui m’a poussé à écrire mes histoires, c’est lui aussi qui m’a suggéré de faire de mon voyage austral une bande dessinée. 

    Sur quel projet vous concentrez-vous aujourd'hui? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre dernier long voyage en Antarctique?

    Je suis parti près de deux mois cet hiver en Antarctique suivre une mission polaire, en compagnie de mon frère, François, photographe. Nous avons comme projet d’en faire une bande dessinée qui associerait dessin et photos. Nous en sommes encore à préciser ce que ce sera, car au long de cette mission, rien ne se sera passé comme prévu. C’est à la demande de l’Institut Polaire et de son directeur, Yves Frénot, que nous sommes partis là-bas. L’idée étant de témoigner des missions polaires. 

    Est-ce que votre art contribue chaque jour à faire de vous un être différent?

    Pour moi, dessiner, raconter des histoires, c’est avant tout apprendre sur le monde, apprendre sur soi-même. Dessiner, c’est ma façon d'être au monde. Je grandis par mes livres et plus qu'être un bon dessinateur, dessiner c'est, pour moi, tâcher de devenir un être humain meilleur, c’est à dire plus juste. 

    Un immense et chaleureux merci à Emmanuel Lepage.



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  • Rencontre avec Nine ANTICO samedi 27 avril 2013

    affiche nine antico.jpg

  • Pirates (Shuky) - chronique de Guillaume #62

    PIRATES

    Shuky & Gorobei

    Makaka - 17 €

     

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    On connaissait Les livres dont vous êtes le héros, ces petits bouquins qui permettent de faire du jeu de rôle tout seul avec une paire de dés et un crayon. Shuky et Gorobei nous offrent à présent la BD dont vous êtes le héros avec Pirates qui vient de paraître aux éditions Makaka. Et c’est une réussite ! La « jouabilité » de cette bande dessinée réellement interactive est excellente. On se plaît à scruter chaque case à la recherche d’un passage dérobé ou d’un objet précieux. Le dessin, qui n’est pas sans rappeler certains jeux vidéos, colle parfaitement avec le côté ludique du livre.

     

  • 48H BD - la librairie M'Lire vous offre une BD les 5 et 6 avril

    La librairie M'Lire est partenaire de l'opération 48H BD.

    Les 5 et 6 avril, venez nous demander 1 BD gratuite (dans la limite des stocks disponibles)

    logo_48hbd.gif

    En collaboration avec les éditions Bamboo, Casterman, Dargaud, Dupuis, Fluide Glacial, Grand Angle, Jungle et Le Lombard, nous vous proposons de découvrir gratuitement l'un des 8 albums suivants*:

    La nouvelle bande à Bamboo
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    Le tueur
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    La vie et moi
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    Le royaume
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    Pascal Brutal
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    Sienna
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    Secrets de Girlz
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    Ernest et Rebecca
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    promo.gif

  • Une excellente interview d'un non moins excellent dessinateur BD par un toujours excellent blogger de talent !

    Cette interview est tiré du blog "I am a lungfish Song" de Christophe Aimé. C'est vraiment excellent alors dépêchez-vous et allez voir ce qui s'y passe...


    THIERRY MURAT

    "Je regardais le monde défiler à grande vitesse. Ce monde que je n'avais vu qu'en mode pause à travers une fenêtre flanquée de trois barreaux." Rascal et Thierry Murat suivent la trajectoire d'Abel Mérian, un ex-tolard, en route pour un point toujours au-delà de l'horizon. Ligne droite vers un livre d'une beauté graphique et narrative boulversantes. Son dessinateur au making-of.

    (chRisA - avril2013)

    En quels termes présenteriez-vous Rascal, votre partenaire sur ce projet ?

    Rascal est avant tout auteur. Il a publié plus de 80 ouvrages, chez Pastel - L’École des Loisirs, notamment. Il a certainement écrit quelques-uns des plus beaux textes de la littérature jeunesse contemporaine. Il s’est toujours nourri d’images autant que de lectures. Rascal est belge et en Belgique la culture picturale fait partie du paysage, elle est écrite dans l’histoire du pays et dans les petites histoires de chacun… Rascal est un ami depuis une petite dizaine d’années, maintenant. Rascal écrit comme il parle et parle comme il écrit. À la première personne le plus souvent possible, avec le cœur systématiquement et toujours avec retenue et grande élégance.

    À présent, prenez un miroir et, en tant qu'artiste, présentez-vous.

    Je suis un « touche à tout ». Je l’ai toujours été. Musique, dessin, photo, écriture… Je suis venu à la bande dessinée assez tardivement. Même si c’était un rêve de gosse, j’ai pris mon temps. Je prends toujours mon temps pour quoi que ce soit, d’ailleurs. J’ai commencé par publier au début des années 2000 des livres jeunesse aux éditions du Rouergue. Mon premier album en bande dessinée adulte Elle ne pleure pas elle chante est sorti en 2004 chez Delcourt. En 2011, c’est avec Les larmes de l’assassin, chez Futuropolis, que je prends conscience que je commence à avoir un vrai public. Et face à ce miroir que vous me tendez dans votre question j’y vois un mec qui ne sait pas parler de lui. C’est vrai… Je préfère parler de mes livres (ou de ceux des autres).

    Comment est né Au Vent Mauvais?

    C’est une histoire d’amitié avec Rascal avant tout. C’est l’envie de faire un roman graphique qui nous ressemble à tous les deux. Et, cerise sur le gâteau, de le faire chez Futuropolis. On est tous les deux des anciens ados, biberonnés aux vieux Futuropolis de la fin des années 70. De mon côté, j’avais déjà mis un pied chez Futuro avec Les larmes de l’assassin et pour Rascal, faire un bouquin avec le logo Futuropolis en bas à droite de la couverture, c’était le Graal… (Rires !) Alors, naturellement on a tout de suite pensé à un road-movie. Rascal a déjà pas mal écrit sur ce registre en littérature jeunesse. C’est un vagabond dans l’âme. Amoureux de Rimbaud et des Clash. La route, c’est un truc qui l’inspire depuis toujours. De mon côté, j’avoue que c’est une esthétique qui me faisait terriblement envie depuis longtemps aussi… Donc, Rascal m’a écrit une sorte de nouvelle. Une forme courte. Un texte d’une trentaine de feuillets, à la première personne. Et puis je me suis chargé de la mise en scène, du découpage et du dessin, bien sûr.

    Qu'est-ce qui, Rascal et vous, vous différencie et vous rapproche ?

    Alors… Ce qui nous rapproche, d’abord : préférer la singularité du regard à la virtuosité ou la technique. On partage, je crois, la même lucidité sur le monde et sur les relations humaines, aussi. On ne se fait pas d’illusions… Mais on sait en rire. On est papa de nombreux enfants : 5 pour lui et 3 pour moi. Ça rapproche, mine de rien… Ce qui nous différencie, c’est notre patrimoine culturel. Je suis un gascon du sud-ouest de la France et lui est belge. Ça n’a rien à voir. On a presque dix ans d’écart aussi…  Moi, j’aime Andy Warhol et Edward Hopper, lui préfère Van Gogh et Francis Bacon… Lui, c’est les Clash ! Moi, c’est Neil Young…

    Quels sont les secrets d'une bonne collaboration ?

    L’amitié, le respect et l’écoute. Pas l’admiration… Avec l’amitié, le respect et l’écoute, on peut tout se dire. Même les choses qui fâchent, mais ça ne dure pas.

    Je vois ce dernier album comme un road-movie avec une ambiance de polar. Dans l'histoire de la bd et du cinéma, quels sont à vos yeux les road-movies les plus réussis ?
    Pierrot le fou de Godard, Easy Rider de Dennis Hopper, bien sûr ! Et puis le beau Paris Texas de Wim Wenders… Toute l’œuvre de Jim Jarmusch qui est un road-movie à elle seule. Sinon, plus récemment Papa de Maurice Barthélemy (ex-Robin des bois) avec Alain Chabat dans le rôle titre : magistralement drôle et émouvant ! En bd, je ne vois pas… À part Au vent mauvais, bien sûr… (Rires !)

    En quoi vouliez-vous vous démarquer des autres road-movies ?

    Ho, il n’y a pas eu de calcul de la sorte. Ça ne se calcule pas ce genre de chose. Enfin… Ça peut se calculer, mais on risque de faire des trucs moins sincères. Je reviens à la question précédente, une chose qui nous rapproche aussi, avec Rascal, c’est de ne pas être bardé de références culturelles. On sait, lui et moi, que c’est un frein à la créativité. On fonctionne donc à l’instinct. Ça passe ou ça casse. On fait le livre pour nous d’abord. Pour notre éditeur aussi, bien sûr… On essaye de ne pas le décevoir, vu qu’il nous fait confiance, c’est la moindre des choses. Mais on ne fait pas de concessions. Lorsque le livre est fini, le public est là ou pas. De toute façon, malgré tous les meilleurs calculs du monde, c’est toujours comme ça que ça se passe. Donc pas de volonté spéciale de se démarquer. Juste l’envie de tenter l’expérience « road-movie » à notre manière, honnêtement, et le plus sincèrement du monde…

    Comment se sont passé les repérages ? Qu'était-il important de capter ?

    Pendant toute la période de travail sur ce livre, j’avais toujours dans ma poche un appareil photo ou à défaut, mon téléphone portable, en voiture, dans le train, dans l’avion… Et je me suis constitué une collection de paysages urbains, de friches industrielles, de routes, d’autoroutes…. Je l’ai toujours fait, j’adore ça. Mais là, j’en ai profité pour étoffer ma collection (voir ci-dessous), pour le plaisir surtout, pas uniquement pour le livre en cours. J’ai même fait un voyage express en voiture jusqu’à Rimini sur la côte Adriatique italienne, le point de chute du récit. Histoire de voir. Encore et toujours le regard… Avec la force de son inévitable subjectivité… D’ailleurs l’utilisation formelle que je fais de la photo dans mon dessin est finalement assez réduite. Capter des images avec un appareil, c’est surtout exercer son œil et forcer son regard  à un instant donné, très bref,  sur quelque chose de banal pour le sublimer. C’est ça qui est intéressant avec la photo. Ce n’est pas juste aller chercher de la documentation visuelle (la simple doc, on peut la trouver sur Google)… À l’étape du dessin, c’est toute cette démarche de captation du réel qui ressurgit. Et on arrive alors à fantasmer des images que l’on n’a même pas prises en photo. C’est une drôle de machine à rêver, le cerveau. Pour répondre plus précisément à votre question, j’essaye de capter avec mon appareil des choses qui ne se voient pas sur la photo elle-même… C’est difficile à expliquer tout ça, je sais… Mais la réponse est peut-être dans la capacité du dessin (et de la littérature aussi) à suggérer plus qu’à montrer.


    croquis thierry murat

    Comment définiriez-vous le style que vous avez trouvé depuis Les larmes de l'assassin ?

    C’est difficile pour moi de définir mon travail… Ce que je peux dire, c’est que c’est une écriture graphique qui me ressemble totalement. J’ai longtemps essayé des tas de choses très différentes dans tous mes livres, depuis 10 ans. Et récemment, pour Les larmes de l’assassin,  je me suis souvenu de ce que je faisais adolescent. Des dessins à l’encre avec des grands aplats noirs, Hugo Pratt et Comès étaient mes auteurs de chevet à l’époque de mes années lycée. Mes dessins étaient maladroits, bien sûr, on n’est pas sérieux quand on a 17 ans et on se contente de peu… Mais je crois que l’adolescence, c’est le moment où l’on construit l’être humain qu’on va être « pour toujours ». C’est idiot de vouloir faire semblant d’oublier ça. Voilà. Aujourd’hui je dessine avec les mêmes intuitions (enfin retrouvées) que j’avais lorsque j’étais ado. C’est à peu près tout ce que je peux dire. Les lecteurs sont mieux placés que moi pour définir mon style (je n’aime pas ce mot).


    au vent mauvais

    Comment abordez-vous la technique du cadrage et celle du découpage ?

    C’est la narration visuelle qui décide pour moi. Je fonctionne à l’instinct. Je me raconte l’histoire à ma manière avec tout le détachement nécessaire par rapport au texte original et la taille des cases, le nombre de cases par planche, etc… s’installe presque malgré moi. Voilà pour la base de travail. Après, bien sûr, j’ai mes petites manies comme tout le monde. J’abuse de ce que j’appelle « les images refrain ». Comme dans une chanson, vous voyez ? D’ailleurs pour répondre clairement à la question je crois que c’est ça, en fait : j’aborde le découpage d’une manière musicale. Pourquoi pas… Les chansons de Bob Dylan sont de sacrées histoires à chaque fois. De longs couplets lancinants et soudain : Paf ! Le refrain qui revient, encore et toujours le même gros plan sur ce même visage ou ce même objet banal. Une autre obsession dans ma manière de découper la narration, c’est la globalité de la double page. Je suis incapable d’appréhender une page seule, sans prêter attention à sa sœur d’en face. C’est maladif…

    Qu'essayez-vous de privilégier dans chaque case ?

    La lisibilité ! Pour que l’image soit frontale à chaque fois. Un uppercut. Vlan ! Pas de fioritures… Ça ne sert à rien. On le sait, pourtant y’en a encore qui continuent à faire de la bd comme on faisait de la peinture au 18ème siècle. Ça m’énerve… On n’arrive pas lire, à rentrer dans l’histoire tellement y’a de détails qui polluent le regard. Même plus la place pour le lecteur de se faire sa place… C’est un comble ! De toute façon, c’est comme dans la vraie vie. Y’a les bavards, ceux qui s’écoutent parler, qui prennent toute la place. Et puis, y’a les autres, souvent plus touchants et plus profonds dans leur discrétion... Ce n’est pas une théorie absolue. C’est ce que je pense. C’est tout.

    Sans suivre la plume de Rascal, rien qu'en regardant vos dessins, nous pourrions comprendre l'histoire. Comment travaillez-vous graphiquement la charge narrative ?

    Encore une fois, pas de calcul… J’essaye tout simplement de décrire au mieux ce qui se passe et où l’on est. Ou bien je fais complètement l’inverse ! Si le texte est très descriptif, alors je pars ailleurs, je montre du ciel ou une tasse à café sur un comptoir… Et bizarrement, lorsque je deviens plus métaphorique, je me rends compte que la narration y gagne. C’est assez mystérieux le rapport texte-image… Ce n’est pas une science exacte et je n’ai pas d’explications, pas de recettes non plus. Mais j’essaye de provoquer de l’inattendu, du décalage, le plus souvent possible, parce que je me rends bien compte que ça marche. On me l’a dit… Je ne suis pas un dessinateur d’action, ça se saurait (Rires !). Alors je cultive mes faiblesses comme disait Cocteau.

    Qu'est-ce que la signalétique, très présente, apporte ici ? Quelle est sa rhétorique ?

    Dans l’environnement de ce récit, les marques, les enseignes, la typographie, la signalétique apportent ce supplément d’âme ou de « non-âme », qui caractérise bien notre époque et son décor quotidien. La signalétique, c’est un peu la carte ADN de nos paysages urbains ou ruraux. Ça peut avoir quelque chose de terriblement déprimant (lorsque je montre une zone commerciale surchargée de marques) ou de très touchant (lorsque je montre une enseigne un peu usée, de vieille superette ou de vieux bistrot). Je crois que toute cette signalétique fait parler les décors et leur offre un vrai statut de personnage et donc un vrai rôle à jouer.

    Quelles couleurs vouliez-vous privilégier ? Quelles sont celles que vous vous êtes interdites ?

    J’adopte depuis pas mal de temps, dans mes images, une palette de couleurs sourdes. Ça me permet de faire éclore des petits éclats de couleurs qui d’un point de vue narratif, m’aident à accompagner le lecteur dans ses émotions. Dans ce livre, on est dans une gamme un peu « blafarde » et, de temps en temps, on aperçoit un feu rouge à l’arrière d’une voiture, le smiley jaune sur la casquette de l’ado… Je ne sais absolument pas pourquoi je m’interdis le vert. Il faut croire que je n’aime pas cette couleur… Mais je m’en passe très bien !

    Qu'est-ce qui vous a donné le plus de fil à retordre sur ce projet ?

    L’exigence de Rascal ! (Rires). Non, mais c’est aussi ce qui m’a apporté le plus de satisfaction au final… Rascal dessine aussi, dans ses albums jeunesse… Il sait de quoi il parle (et moi aussi…). Donc, nous avions des vrais débats sur l’image. C’était passionnant.

    Les histoires sombres, tristes sont-elles plus faciles à dessiner ? Vous inspirent-elles plus ? Si oui, pourquoi ?

    Plus facile, je ne le crois pas… Ce n’est pas facile, d’obliger les gens à regarder leurs propres peines en face… C’est risqué. En revanche faire rigoler, c’est plus rassurant. « Hé ! Venez chez moi, on va rigoler un bon coup ! » Tout le monde rapplique, c’est sûr… Mais si vous dites : « Passe à la maison, un de ces quatre, pour qu’on discute un peu de ce qui nous chagrine en ce moment… » Alors là, vous prenez le risque de passer la soirée tout seul (Rires !). Non, non ce n’est pas de la facilité dont il s’agit. C’est juste que pour moi, si le ciel est bleu et que tout le monde est heureux, bin… Y’a plus rien à raconter. Non ? Tout va bien. Circulez y’a rien à voir !

    Si vous étiez un lieu ou un personnage de Au Vent Mauvais, lequel seriez-vous ? Et aussi, lequel ne seriez-vous surtout pas ?

    Je serais sans hésiter, un lieu : La plage de Rimini, désolée, hors saison. La côte Adriatique italienne à un pouvoir de séduction assez paradoxal… Je ne voudrais surtout pas être la caissière de la superette de village…

    Combien de temps un projet comme cet album prend-t-il ?

    Un an ! C’est long et c’est court en fait… C’est un peu comme un morceau de vie.

    Quelques mots sur le nouveau roman graphique que vous préparez. J'ai appris que vous adaptiez Le Vieil Homme et La Mer d'Ernest Hemingway. Quelle « pression » ressentez-vous face à un tel défi ?

    Pour l’instant, je me prépare. Je suis dans les starting-blocks. Donc, grosse pression ! Le contrat est signé avec Futuropolis. Les ayant droits de la famille Hemingway ont donné leur accord. Tout est calé. Y’a plus qu’à… C’est donc un moment très particulier. Rempli de doutes, de questions. Mais je sais par expérience que tout ça va s’effacer immédiatement lorsque je serais la tête dans le guidon. Heureusement, sinon ce serait invivable. Mais cette période préliminaire, assez peu confortable, est nécessaire. C’est ainsi. Ça va être une belle aventure. En solo cette fois. Puisque mes échanges avec le vieil Ernest Hemingway seront davantage de l’ordre du spiritisme. Je pense qu’il va venir souvent m’emmerder dans mes rêves. Bon… On verra bien comment se passe la rencontre. On boira des mojitos sur la plage de La Havane… C’est un rêve de gosse, cette adaptation. J’attendais d’avoir suffisamment de cartouches dans ma besace pour attaquer un tel défit. Ce sera mon 5ème roman graphique. C’est bien, c’est le bon moment, je crois. Un beau récit sur « la victoire dans la défaite » ou inversement… Rien que de l’eau avec beaucoup de ciel au-dessus, sur 120 pages !

    Je ne terminerai pas avec une question mais avec mes sincères remerciements pour avoir passé un tel grand moment avec la lecture de Au Vent Mauvais. Merci à vous et à Rascal !

    Merci à vous pour ces questions qui sortent des sentiers battus… C’était un plaisir !


     

    Un grand merci à Thierry Murat et à Simon.

  • 6e Rencontres BD en Mayenne - 6 et 7 avril aux Ondines à Changé

    Voici la liste des auteurs attendus aux 6è Rencontres BD en Mayenne, les 6 et 7 avril 2013, à Changé.

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    Les Rencontres BD seront ouvertes au public de 14 h à 19 h samedi et de 10 h à 18 h dimanche, à Changé, en Mayenne.

     

    Diverses animations sont proposées :

     

    SAMEDI

     

    • Ateliers BD avec des auteurs à 14 h, 15 h et 16 h
    • Des films d’animation réalisés par Nicolas Bianco-Levrin à visionner
    • Remise du prix Bull’gomme 53 à 17 h

     

    DIMANCHE

     

    • Ateliers BD à 10h30 et 15h30

     

    Et tout au long du week-end, retrouvez :

     

    • la librairie M’Lire
    • Bouquin’bulles
    • Des expositions (les 10 ans du prix Bull’gomme 53, le vainqueur 2013)
    • Rêve de bulles et ses tirages limités
    • Des jeux autour de la Bande Dessinée
    • Un espace bibliothèque
    • Atelier maquillage proposé par l’association Educ’Actions en Afrique
    • Des mobiles à fabriquer
    • Des fresques réalisées avec les enfants

     

     

  • Alice au pays des singes (Tebo & Keramidas) - chronique de Florian #17

    ALICE AU PAYS DES SINGES

    TEBO & KERAMIDAS

    Glénat - 13,90 €

     

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    Prenez une petite pincée de classique (Alice évidemment). Ajoutez une bonne dose d’humour (sans aucune modération) avec un zeste d’aventure. Accompagnez le tout d’un récit décalé et savoureux. Mélangez, patientez… et vous obtiendrez une bande dessinée prête à être dévorée.

    Alice, la pauvre petite, se retrouve, sans savoir pourquoi ni comment, au pays des singes, celui même qu’avait habité Tarzan avant de se faire la malle. Les singes, pas très intelligents, vont confondre Alice et le roi de la jungle ce qui ne va évidemment pas plaire au tigre, le nouveau roi…

    Avec un scénario plein d’humour et un dessin super efficace, les deux auteurs de la série Captain Biceps signent ici une excellente BD jeunesse.


     

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  • Sailor Twain ou La Sirène de l'Hudson (Mark Siegel) - Chronique de Guillaume #59

     SAILOR TWAIN

     Mark Siegel

     Gallimard – 25 €

     

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     Si certaines personnes forcent l'admiration, Mark Siegel fait partie de celles-ci. En effet, non content d'être le reponsable éditorial des éditions new-yorkaises First Second qui publient aux États Unis Joan Sfar, Lewis Trondheim, Gipi ou encore Emmanuel Guibert, Mark Siegel est également l'auteur d'un remarquable roman graphique intitulé Sailor Twain ou La Sirène dans l'Hudson.

     

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     Dans ce copieux livre entièrement réalisé au fusain entre 5h et 8h chaque matin avant d'aller au travail (véridique !), Mark Siegel raconte les aventures d'Elijah Twain, capitaine d'un bateau à vapeur navigant sur l'Hudson, qui découvre un jour une sirène blessée sur le pont du Lorelei. Bientôt séduit par la créature, il va bientôt découvrir combien il est dangereux de côtoyer de tels êtres d'autant plus qu'il est loin d'être le seul à subir leur charme...

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     Vous aussi, plongez-vous (ah! ah!) dans ce magnifique album, vous serez emportés à coup sûr par son magnétisme.

    http://www.youtube.com/watch?v=Is7rH9oUntE

     

     

     

  • Douce pincée de lèvres en ce matin d'été (Laurent Bonneau) - Chronique de Guillaume #58

     

    Douce pincée de lèvres en ce matin d'été

     

    Laurent Bonneau

     

    Dargaud - 16,45 €

     

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    La plus belle émotion graphique de ce début d'année revient sans conteste à Laurent Bonneau pour Douce pincée de lèvres en ce matin d'été.

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    Une histoire tout en finesse et retenue autour d'un jeune homme, entraîneur de tennis de table à haut niveau, qui passe par un moment intense de son existence. L'événement à l'origine du trouble est à peine suggéré. Ce sont plutôt les moments qui suivent, en creux, que l'auteur nous donne à ressentir. C'est là que toute la virtuosité graphique de Laurent Bonneau intervient, avec des choix audacieux de mises en page et de traitement du dessin qui touchent à coup sûr la corde sensible. Gros coup de coeur !


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  • Casanova Histoire de ma fuite (Giacomo Nanni) - Chronique de Guillaume #57

    Casanova Histoire de ma fuite

    Giacomo Nanni

    Olivius - 19 €

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    Casanova Histoire de ma fuite relate un épisode méconnu de la vie du célèbre libertin. En effet, Casanova fut emprisonné de 1756 à 1757 dans la prison du palais des doges pour libertinage, athéisme et obscurantisme. Ils ne faisaient pas semblant à l'époque !

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    Giacomo Nanni restitue à merveille le carcan physique et psychique qui oppresse le fameux vénitien, seul en sa geôle pendant la quasi-totalité de son enfermement. L’emploi astucieux de trames noires, très serrées, contribue parfaitement à retranscrire cette atmosphère carcérale pesante. Le malaise est d’autant plus prégnant que la plupart des personnages auxquels est confronté Casanova sont affublés de visages irréels et difformes tout à fait symboliques de leur monstruosité d’âme. Et lorsque Casanova commence à planifier son évasion, le lecteur tremble avec lui à l’idée que ces préparatifs ne soient découverts. Le chemin vers la liberté s’avère fort étroit et tout faux-pas conduit à une mort certaine. Mais, malgré tous ces écueils, Casanova va briller par sa ruse et sa patience.

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  • JIM CURIOUS (Matthias Picard) - chronique de Guillaume #56

    Jim Curious

    Matthias Picard

    2024 - 19 €

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    Le prix de l’originalité en bande dessinée jeunesse revient sans conteste cette année à Matthias Picard pour son magnifique Jim Curious sous-titré Voyage au cœur de l’océan. Pour accomplir cette étonnante expédition sous-marine, rien de plus simple : il vous suffit de chausser les lunettes magiques bleues et rouges ! Mieux que n’importe laquelle des dernières productions cinématographiques en 3D, vous voilà littéralement plongé toujours plus profondément parmi les ruines et les épaves, au milieu de poissons plus ou moins recommandables. N’oubliez surtout pas d’aller jusqu’au bout, une surprise vous y attend !

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  • Top 10 2012 - Bandes dessinées

    et voici le dernier Top10 de l'année 2012 : les bandes dessinées

     

    1. Hotel étrange T01, Florian & Katherine Ferrier, Sarbacane

    2. Les ignorants, Etienne Davodeau, Futuropolis

    3. Moi René Tardi prisonnier de guerre..., Jacques Tardi, Futuropolis

    4. Titeuf T13, Zep, Glénat

    5. Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage, Futuropolis

    6. Lou T06, Julien Neel, Glénat

    7. Blast T03, Manu Larcenet, Dargaud

    8. Les Sisters T07, William & Cazenove, Bamboo

    9. Chroniques de Jerusalem, Guy Delisle, Delcourt

    10. La peau de l'Ours, Zidrou & Oriol, Dargaud

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